Du fond des âges remonte ce vieux conflit bien gaulois : faut-il concentrer l’autorité ou la diluer dans une infinité de cénacles ou d’institutions. L’Ancien Régime vit le triomphe de la monarchie absolue. L’incapacité de celle-ci à se réformer entraîna la Révolution qui faillit nous conduire à l’anarchie, dont les tribus gauloises semblaient parfois se complaire…
L’histoire de la France a été marquée, depuis 1789, par deux grands mouvements, associés aux périodes glorieuses liées à Bonaparte et à de Gaulle. Existe-t-il des points communs entre bonapartisme et gaullisme ?
En préalable, dissocions bien les deux héros de la France moderne. Certains gaullistes d’ailleurs, comme Alexandre Sanguinetti, ont toujours réfuté le rapprochement, plus pour des raisons historiques et politiques que pour de réelles différences doctrinales. Napoléon Bonaparte a mené une entreprise singulière, bien différente de celle de Charles de Gaulle. Surtout, après son triomphe contre les armées russes et prussiennes, en 1807, il a clairement orienté la France vers la restauration de l’empire carolingien. De Gaulle n’avait évidemment pas cette posture : ce n’était pas le conquérant mais bien le Libérateur, après que notre pays se soit effondré face au nazisme.
Reste qu’il peut exister des points communs. Le mieux, sans doute, est d’opérer un retour aux sources du gaullisme. Est-ce à dire qu’il existe une doctrine gaulliste ? Le général n’aimait pas ce terme et renvoyait à plus tard la définition de celle-ci. Il reste pourtant des bases fondamentales qui limitent et définissent le gaullisme. Je dois à André Astoux, dernier secrétaire national du RPF (en 1956), une leçon magistrale à ce sujet.
Les adhérents du RPF recevaient une carte individuelle où trois principes étaient inscrits au verso de celle-ci, et par laquelle ils s’engageaient à demeurer fidèles :
1/ Indépendance nationale.
2/ Justice sociale.
3/ Séparation des pouvoirs.
L’indépendance nationale se passe de commentaires. De Gaulle tenait à ce principe et considérait qu’il n’existait pas de souveraineté en dehors de la Nation. Certes, ce principe pouvait trouver des aménagements pour l’organisation de la paix (ONU), ou pour instaurer une confédération européenne qui serait compétente pour mener une diplomatie indépendante des blocs (occidental et soviétique), ou pour organiser une coopération en matière de défense européenne. Néanmoins, le peuple français devait toujours demeurer libre de son destin.
La justice sociale. C’était résumer en peu de mot l’aspiration aristotélicienne du général : cette recherche d’une troisième voie entre capitalisme et collectivisme qui devait s’incarner dans l’association du capital et du travail. Si ce volet de la politique gaullienne eut du mal à se concrétiser, il n’en demeure pas moins que ce fut là la base doctrinale de la participation si chère au général qui tenait à ce que les salariés, les travailleurs, soient associés aux résultats et à la gestion de leurs entreprises.
La séparation des pouvoirs. Principe posé par Montesquieu, mais repris par de Gaulle pour mieux fustiger le régime d’assemblée tel qu’il découlait de la constitution de la IVème république et qui abaissait l’autorité de l’état entre les mains des partis politiques. Il convenait –selon-lui- que l’exécutif ne procédât point du parlement, que ce dernier se borne à légiférer et que la justice soit indépendante des deux autres pouvoirs.
Et il convenait, dans cet esprit, que le chef de l’Etat en soit véritablement un et qu’il intervienne de manière significative dans la conduite et la détermination de la politique de la Nation, ce qui devait le conduire à instaurer l’élection du chef de l’état au suffrage universel.
Or, si on y regarde de près, ces trois grands principes gaulliens étaient visés ou préconisés par nos deux empereurs. En effet, moins héroïque que son oncle, Napoléon III put approfondir la pensée du mouvement bonapartiste dans les domaines sociaux et économiques.
Sur le chapitre de l’indépendance nationale, il n’y a évidemment pas de différence entre gaullisme et bonapartisme. Si Napoléon Ier et Napoléon III dépassèrent cette limite, ce fut pour mieux se positionner face à une Europe encore féodale pour le premier et une Europe toujours dynastique pour le second, qui privilégiait encore la souveraineté des princes et non des nations. Ce principe de l’indépendance nationale se combinait parfaitement avec celui des nationalités. On sait la part prise par nos deux Napoléon dans l’accomplissement des unités italiennes et allemandes. Napoléon III fut d’ailleurs encore plus impliqué dans la défense de ce principe, notamment en ce qui concerne les futures Roumanie et Serbie, ce que l’on a tendance à oublier. Tout ceci est parfaitement compatible avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes proclamé par le général de Gaulle.
Sur celui de la justice sociale, on peut affirmer que les empereurs furent des précurseurs. Napoléon 1er, parce qu’il grava dans l’airain le principe de l’égalité entre tous les citoyens (débouchant nécessairement vers une méritocratie démocratique), principe légué par la Révolution ; et son neveu, par les prolongements qu’il entendit lui donner dans l’ordre économique et social. Napoléon III souhaitait, en effet, que les progrès économiques profitent aussi aux plus défavorisés et il posa les bases des premières assurances sociales, de même que la valorisation de la condition des ouvriers, dont beaucoup se souvinrent longtemps après sa chute.
Enfin, sur celui de la séparation des pouvoirs, si l’on doit distinguer des nuances, il convient de remarquer les analogies. Louis-Napoléon Bonaparte déclara, en effet, avant d’être empereur, « qu’il est dans la nature de la démocratie de s’incarner dans un chef » ! Pour des raisons historiques, l’empire fut héréditaire, mais il découlait du plébiscite –principe fondateur du second empire- que le souverain ne pouvait se maintenir contre la volonté du peuple, le contact entre ce dernier et l’empereur devant demeurer perpétuel et être vérifié à intervalle régulier. Il s’ensuivait, comme dans le gaullisme, que l’exécutif ne devait pas dépendre du parlement, mais puiser sa légitimité dans le suffrage universel. A n’en pas douter, Napoléon III aurait approuvé le droit de vote accordé aux femmes par le général de Gaulle.
Il résulte de tout ceci que l’on est bien obligé de constater les convergences entre Bonapartisme et Gaullisme. Dans les deux cas, il s’agit bien d’un mouvement populaire, accordant la primauté au chef de l’Etat, anti-parlementaire (opposé au régime d’assemblée ou régime des partis) et soucieux d’intégrer tous les citoyens au processus politique, tout en veillant à mieux intégrer l’Homme dans la société, en lui évitant l’aliénation propre au capitalisme et au collectivisme.
Cette leçon ne doit pas être perdue, à l’heure où le gaullisme est trahi tous les jours par ceux-là même qui s’en réclament ! Et pour retrouver les repères, il suffit de se retourner vers l’œuvre accomplie par nos deux empereurs pour constater –plus que jamais- que le bonapartisme conserve son actualité !
Enfant du Comminges, dans les Pyrénées Centrales, j’ai cet amour pour les territoires qui au fil des siècles sont venus former notre belle France. Cette France que j’ai servi durant quelques années au sein des unités de l’Infanterie de Marine et par ce biais sur différents théâtres d’opérations et qui m’a donné ainsi une deuxième famille. Amoureux de notre Histoire mais surtout admirateur de l’œuvre de nos deux empereurs, loin de tous anachronismes, je défends leur mémoire mais aussi les valeurs qu’ils nous ont légué pour une certaine idée de la France grande, juste, respectée et généreuse. Cette Histoire, ces valeurs et cette mémoire qui doivent nous rendre fier d’être Français.