Abd-el-Kader, l’ami de la France

Il y a quelques semaines, une chaîne de télévision privée algérienne a été sanctionnée pour avoir laissé dire qu’Abd-el-Kader était un traître à la patrie.

S‘agissant du principal opposant à la conquête française réalisée sous le règne de Louis-Philippe, et dont le maréchal Bugeaud est le symbole du côté français, l’assertion a de quoi surprendre. Cela d’autant plus que le Gouvernement du F.L.N. en a fait une sorte de Vercingétorix du Maghreb : héros vaincu, héros qui fut contraint à se rendre mais dont la lutte acharnée contre l’envahisseur mérite d’être donnée en exemple aux jeunes générations.

Il n’en reste pas moins que si Abd-el-Kader a pu être qualifié de traître de l’autre côté de la Méditerranée, c’est qu’au-delà de l’instrumentalisation anti-française qui en est faite, le vaillant et sanguinaire patriote algérien devint, dans la seconde partie de son existence, véritablement, sincèrement, l’ami de la France.

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Les circonstances et les suites de cette conversion sont exemplaires à plus d’un titre. Rappelons-les en quelques mots.

Lorsqu’en décembre 1847, Abd-el-Kader se rendit au général Lamoricière, celui-ci lui promit au nom du duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe et gouverneur de l’Algérie, non seulement la vie sauve mais également la liberté, sous réserve qu’il demeurerait en exil au Proche-Orient.

Or cette promesse ne fut d’abord pas tenue. On le mena à Toulon, on tergiversa sur son sort. Puis, quelques semaines plus tard, en février, une révolution éclata. La République nouvelle, confrontée à bien des difficultés, ne fut pas pressée de trancher sur son sort. Elle le garda prisonnier, d’abord au château de Pau, puis dans les vieux murs de celui d’Amboise, avec toute sa suite et sa nombreuse famille, où on l’oublia.

C’est là, quatre ans plus tard que Louis-Napoléon Bonaparte, alors Président de la République, vint le trouver à la fin d’une de ses nombreuses tournées en Province. Il se souvenait que son oncle Napoléon avait lui aussi, en 1815, remis un peu naïvement son destin entre les mains de son vainqueur contre l’assurance de la liberté, et que c’était là l’origine de son martyre de Sainte-Hélène. À ses oreilles résonnait encore sa voix proclamant d’outre-tombe que la perfide Albion, en cette affaire, s’était « couverte d’opprobre » et avait « laissé échappé une belle occasion d’accroître sa renommée ».

Il voulut réparer le parjure. Car, à la différence de la République peut-être, il s’estimait engagé par la parole de ses prédécesseurs. « Rien n’est plus humiliant, lui déclara-t-il solennellement, pour le gouvernement d’une grande nation que de méconnaître sa force au point de manquer à sa promesse. Vous avez été l’ennemi de la France, mais je n’en rends pas moins justice à votre courage, à votre caractère, à votre résignation dans le malheur. » Et il ajouta : « C’est pourquoi je tiens à honneur de faire cesser votre captivité », ce qu’il fit aussitôt.

Abd-el Kader, en retour, lui jura de ne plus troubler la domination de notre pays en Algérie et de lui garder éternellement estime et reconnaissance. Et il tint parole.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Presque dix ans plus tard, en 1860, à Damas où il résidait alors, les Druzes musulmans se livrèrent à d’affreux et systématiques massacres de chrétiens, comme ils venaient de le faire peu avant à Beyrouth. Immédiatement, l’émir ouvrit les portes de son vaste palais et y donna asile à autant de réfugiés qu’il put y faire entrer. Napoléon III n’avait pas affaire à un ingrat.

Plus encore ! Pour que sa demeure ne soit pas envahie, pour la sanctuariser en quelque sorte telle une ambassade, il y fit hisser le drapeau tricolore, lui l’adversaire implacable de Bugeaud et de Lamoricière. Sur son propre palais !

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Assurément, Abd-el-Kader mérite d’être cité en exemple aux jeunes générations, y compris dans nos banlieues, cet Abd-el-Kader là, homme de haute spiritualité, de grande rigueur morale, cet émir chevaleresque lié pour la vie à notre chevaleresque empereur, cet émir qui était aux côtés de l’Impératrice Eugénie en 1869 lors de l’inauguration en grande pompe du canal de Suez, et qui fut symboliquement à son époque, avec Napoléon III, ce qu’ont été Konrad Adenauer et Charles de Gaulle pour l’Allemagne et la France.

Bien plutôt que de battre la coulpe de la repentance, faisons de ces deux hommes l’étendard d’une réconciliation tournée vers l’avenir plutôt que de chercher dans de tristes rapports le vain apaisement des vieilles querelles. Dressons-leur, au moins virtuellement, une imposante statue commune. Faisons largement connaître leur histoire, toute leur histoire, des deux côtés de la Méditerranée. Et nous nous en porterons mieux.

© image : Le prince-président de la République rend la liberté à Abd-el-Kader. Château d’Amboise, 16 octobre 1852.

Francis CHOISEL

Francis CHOISEL est spécialiste du Second Empire et du gaullisme, il est maître de conférences en histoire du XIXe siècle à la Faculté des lettres de l'Institut catholique de Paris où il dirige le cycle des master d'histoire depuis 2017. Thierry Choffat lui attribuera en 2001 la paternité du souverainisme en France.
Conseiller municipal (1983-1989), puis adjoint au maire de Boulogne-Billancourt (1989-1995), il fut aussi conseiller général du canton de Boulogne-Billancourt-Sud (1994-2008).
En outre, Francis Choisel est notamment l’auteur de La Deuxième République et le Second Empire au jour le jour et de Comprendre le gaullisme.