L’honneur perdu d’un ancien président

Parmi les symboles républicains les plus puissants, rares sont ceux qui portent autant de poids que la Légion d’honneur. Instituée par Napoléon Bonaparte en 1802, elle n’était pas une décoration mondaine, mais une reconnaissance du mérite. Le mérite républicain. Celui qui transcende la naissance, les titres, et les privilèges de l’Ancien Régime. Aujourd’hui, l’exclusion de Nicolas Sarkozy de cet ordre prestigieux n’est pas qu’une sanction : c’est un verdict moral.

Une chute hautement symbolique

La condamnation de Nicolas Sarkozy dans l’affaire des écoutes, pour corruption et trafic d’influence, a été un choc — mais son exclusion de la Légion d’honneur frappe encore plus fort. Car ce n’est pas seulement un homme que l’on juge, c’est une vision de la République que l’on protège.

Peut-on être l’un des plus hauts représentants de la nation et se jouer de ses lois les plus élémentaires ? L’exclusion de Sarkozy répond clairement : non. Elle rappelle que nul, même président, n’est au-dessus des principes de justice, ce qui, en République, devrait être une évidence — mais ne l’a pas toujours été.

Napoléon et l’esprit de la Légion d’honneur

Napoléon voyait dans cette distinction l’instrument d’une méritocratie nouvelle, née des idéaux de la Révolution. « Vous appelez cela des hochets… Eh bien, c’est avec des hochets qu’on mène les hommes », disait-il. Mais ces “hochets”, comme il les appelait avec ironie, n’étaient pas donnés à la légère : ils récompensaient le service à la nation, non la carrière politique ou l’ambition personnelle.

Qu’est-ce que l’honneur, sinon la fidélité à un idéal plus grand que soi ? Lorsqu’un ancien chef d’État trahit cette idée en utilisant sa fonction pour manipuler la justice, il ne mérite plus cette distinction — car l’honneur ne se partage pas avec le cynisme.

Le précédent de 2007 : une trahison démocratique

La faute morale de Nicolas Sarkozy ne commence pas avec les écoutes. Elle s’enracine plus profondément, dès les premiers mois de son quinquennat, en 2007. À peine élu, il impose à la représentation nationale le Traité de Lisbonne, un texte reprenant l’essentiel du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, rejeté par référendum en 2005.

Ce jour-là, le peuple français avait dit non. Sarkozy lui a répondu oui, mais sans lui redonner la parole. En contournant directement le suffrage universel par une ratification parlementaire, il désavoue délibérément le choix démocratique des citoyens. Non pour défendre une vision de l’Europe — ce qui serait légitime — mais en considérant que le peuple s’était trompé, et qu’il fallait corriger son erreur depuis les hauteurs du pouvoir.

Ce moment, trop souvent minoré, a fracturé profondément la confiance entre les citoyens et leurs institutions. Il a nourri un sentiment d’imposture démocratique, encore ravivé aujourd’hui.

Vers une République plus exigeante ?

L’exclusion de Nicolas Sarkozy de la Légion d’honneur devrait être plus qu’un événement isolé : elle devrait ouvrir un moment de lucidité collective. Non, la République n’est pas une machine à recycler les ambitions personnelles. Non, le pouvoir ne donne pas droit à l’impunité. Et oui, l’honneur, en politique, doit redevenir un critère.

Peut-être est-ce là, paradoxalement, un vrai service rendu à la République par celui qui l’a tant abîmée : rappeler, par sa chute, la hauteur qu’exige toute fonction publique. Rappeler aussi que le peuple, même humilié, n’oublie jamais.

Jean Pégot