Le Seigneur des Anneaux : une œuvre proche des idées bonapartistes ?

Introduction :

Peut-on dire qu’il est provocateur pour un(e) bonapartiste de citer un écrivain britannique ?

Si tel est le cas, l’exception pourrait bien être Tolkien. Bien que ce dernier fût contre toute récupération politique de son œuvre littéraire, plusieurs idéologies se sont emparées de sa création. L’extrême droite se reconnait dans cet ouvrage à travers un prisme identitaire (les peuples enracinés contre les barbares envahisseurs), les marxistes y voient une dénonciation de l’industrialisation et du capitalisme. Quant aux écologistes, ils lisent une critique de la déconstruction de la nature. Peut-être qu’au final tout le monde se reconnaît en Tolkien ? Et pourquoi donc pas les bonapartistes ?

Dans sa version caricaturée, le bonapartisme est perçu comme un mouvement autoritaire et passéiste. Si nous partons d’un point de vue aussi biaisé, l’écho à travers le Seigneur des Anneaux se compose donc uniquement d’un retour de l’Empire. Cependant, si le point de départ concerne la vraie définition du bonapartisme en tant que mouvement républicain, souverainiste et social, une lecture plus profonde pourrait naître. Il s’agirait d’une lecture plus subtile qui dépasse les clivages politiques cités précédemment. On pourrait partir sur ces principes : autorité éclairée, cohésion populaire, rejet des oligarchies corrompues, restauration morale et politique d’un ordre juste.

C’est à cette lecture que nous nous proposons de réfléchir : non pour forcer un parallèle artificiel, mais pour révéler une dimension possible et souvent oubliée de l’œuvre de Tolkien : celle d’un pouvoir fort mais humble, au service du bien commun. Entre Aragorn et Napoléon III, entre la Communauté de l’Anneau et la Nation unifiée, entre la tentation de l’Anneau et les dérives du pouvoir moderne, se dessine peut-être une allégorie bonapartiste insoupçonnée.

 

  1. Le chef providentiel : du roi caché au souverain légitime

Dans Le Seigneur des Anneaux, Aragorn ne devient pas roi par droit héréditaire immédiat. C’est un héritier en exil qui apprendra plus tard ses origines royales par Elrond. Sa légitimité repose sur l’accomplissement d’une mission commune, et non sur sa seule lignée. Ce modèle rappelle celui du chef bonapartiste : Napoléon Ier, Napoléon III, et plus tard de Gaulle. Comme Aragorn, le chef bonapartiste émerge d’un moment de crise pour restaurer la continuité de l’État. Il ne s’agit pas de monarchie ou d’empire héréditaire, mais d’un charisme historique.

« Tout ce qui est or ne brille pas, Tous ceux qui errent ne sont pas perdus ; Le vieux qui est fort ne dépérit point. Les racines profondes ne sont pas atteintes par le gel. Des cendres, un feu s’éveillera. Des ombres, une lumière jaillira ; Renouvelée sera l’épée qui fut brisée, Le sans-couronne sera à nouveau roi. » — Poème au sujet d’Aragorn, cité par Gandalf dans sa lettre à Frodon, dans Le Seigneur des anneaux, La Communauté de l’Anneau, chapitre X, « Grand-pas » (première traduction)

Le chef bonapartiste/tolkieniste/gaulliste est providentiel car il incarne le retour de l’ordre, la fin du chaos, le courage, l’humilité, et la fidélité à une cause commune. Par conséquent, c’est un chef qui a la confiance du peuple.

 

2. La Communauté de l’Anneau et le peuple unifié : l’allégorie bonapartiste de l’unité de la Nation française

La Communauté de l’Anneau réunit des représentants de différentes “races” : Hobbits, Hommes, Elfes, Nains et un Mage. Cette diversité devient une force lorsqu’elle est unie par un objectif commun : la destruction de l’Anneau.

Chaque peuple conserve son identité, mais accepte de mettre en commun ses compétences au service d’un destin collectif. Ce qui est similaire à la Nation française à travers ses différentes régions et ses diverses cultures locales métropolitaines et ultramarines. D’ailleurs selon Odile Delmas (doctorante en langues et littératures romanes), Napoléon III a porté secours aux chants traditionnels populaires provençaux. Cette vision trouve un écho dans le bonapartisme, qui prône une nation unie au-delà des divisions sociales, régionales ou culturelles.

En 1865, Napoléon III déclare : « Je suis l’empereur des Français et des Arabes. » Cette phrase ne doit pas être interprétée comme une justification coloniale, ou comme une séparation identitaire (les blancs d’un côté, les autres de l’autre). Mais plutôt comme une volonté d’intégration civique. De même, le général de Gaulle, dans un célèbre propos rapporté au sujet de la France multiethnique, affirme : « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. » Une citation qui a souvent été critiquée, mais qui reconnaît au moins la diversité comme composante de l’unité française, dans un cadre républicain cohérent avec la vision bonapartiste. Pour citer David Saforcada, une figure contemporaine du bonapartisme : “Il n’y a pas d’exclusion chez les Bonapartistes qui refusent tout racisme et ne souhaitent que le rassemblement de tous les Français”.

L’unité française dans sa diversité, similaire à la Communauté de l’Anneau, est par conséquent un principe bonapartiste. Les représentants du conseil d’Elrond symbolisent les peuples libres qui décident ensemble de la marche à suivre. C’est une forme de gouvernance participative et légitime. Dans le contexte bonapartiste, cette idée se traduit par l’usage du plébiscite et la consultation directe du peuple, qui légitiment un exécutif fort. Le bonapartisme ne rejette pas la démocratie, il l’organise autour d’un principe de souveraineté populaire directe.

 

3. Le rôle du chef contre la corruption du pouvoir

L’Anneau de pouvoir symbolise la tentation du pouvoir absolu, celui qui corrompt même les âmes, y compris les plus nobles. Boromir, Gollum, Saroumane, tous tombent sous son emprise en croyant pouvoir s’en servir à bon escient. Même Gandalf et Galadriel refusent l’Anneau. Ils savent qu’un tel pouvoir, même exercé pour faire le bien, finit par détruire. Tolkien exprime ici une vision lucide du pouvoir : ce n’est pas tant la possession du pouvoir qui est dangereuse, mais le refus de ses limites.

Le bonapartisme, tel que défini par une autre figure contemporaine comme le SAR Joachim Murat, cherche un pouvoir fort mais encadré, fondé sur la légitimité populaire, et non sur l’accaparement élitiste : “Ne l’oubliez jamais : le souverain, c’est nous” Saroumane incarne le pouvoir qui trahit sa mission. Initialement envoyé pour guider les peuples libres, il devient obsédé par la technologie et pactise avec le mal. Denethor, de son côté, est rongé par le désespoir, le cynisme, et son refus de transmettre le pouvoir à Aragorn, pourtant légitime. Ces deux figures illustrent le pouvoir devenu stérile et paranoïaque, incapable de se remettre en question ou de se sacrifier pour le peuple. (Tiens donc ! Cela peut nous rappeler certains présidents…)

Là encore, un parallèle peut être établi avec le bonapartisme : historiquement, celui-ci s’est souvent présenté comme une régénération morale face à un pouvoir corrompu, ou face à une classe politique incapable de défendre l’intérêt général. Napoléon III, dans L’Extinction du paupérisme, dénonçait déjà l’indifférence des élites face à la misère sociale. De Gaulle défendait bec et ongles la souveraineté française face à la droite libérale/orléaniste prête à se soumettre aux Américains. À l’opposé des figures corrompues, Aragorn représente un chef qui restaure non seulement un royaume, mais une morale : la fidélité, la droiture, l’humilité, et surtout une autorité qui protège au lieu de dominer. Son règne marque la fin de l’ère des ténèbres, mais surtout le retour d’un ordre juste, ancré dans la tradition mais ouvert à l’avenir. Ce rôle est typique du chef bonapartiste : sa fonction n’est pas de représenter une classe, un parti ou un intérêt, mais de réconcilier la Nation avec elle-même, de restaurer la confiance et l’espoir.

De Gaulle, en 1944 comme en 1958, puis Napoléon III en 1848, ont voulu incarner cette fonction de médiateur national, de protecteur des humbles et de bâtisseur d’un avenir commun. Ils symbolisent l’espoir.

 

Conclusion : Vers une lecture bonapartiste du Seigneur des Anneaux

Le Seigneur des Anneaux n’est pas un manifeste politique. La droite dure a raison sur un point : cette œuvre est profondément enracinée dans une culture européenne ancienne, nourrie de mythes, de légendes et d’idéaux moraux. C’est comme un conte de fées, l’univers est païen, mais la morale est chrétienne. (Rappel, Tolkien était un catholique bien croyant). Cependant, en le lisant à travers une vision bonapartiste, une grille de lecture cohérente, féconde et nouvelle voit le jour.

La figure d’Aragorn, roi providentiel mais humble, rejoint celle du chef bonapartiste : un homme d’action légitimé par sa mission et son service du peuple, plus que par son nom. La Communauté de l’Anneau, alliance mixte, mais soudée par une cause commune, illustre l’idéal d’une nation unie dans sa diversité, chère au bonapartisme et au gaullisme social. Enfin, les hommes corrompus comme Saroumane ou Denethor incarnent ce que le bonapartisme a toujours combattu : l’élitisme stérile, la technocratie arrogante, et la résignation devant la bêtise et le chaos. Cette lecture invite à réhabiliter un bonapartisme souvent caricaturé, en le rapprochant des grandes valeurs portées par Tolkien : ordre juste, autorité morale, défense du peuple, unité dans la diversité.

Ce n’est pas une récupération ! Nous ne sommes pas là pour faire des parallèles bas du front du style Aragorn = Napoléon III. Non, c’est une nouvelle lecture entre les points communs d’une œuvre littéraire majeure et un courant politique encore vivant. Actuellement, nos démocraties souffrent de séparatisme, d’insécurité, et de clowns qui prétendent défendre le peuple. Ce parallèle inattendu ouvre une voie originale : penser un pouvoir fort, protecteur et éthique, qui ne renonce ni à la souveraineté, ni à l’humanisme. En ce sens, Tolkien n’appartient ni à la gauche, ni à la droite : il parle à ceux qui veulent encore faire nation.

 

Arwen