L’évolution actuelle de notre société oblige à poser une nouvelle fois la question du lien qui peut exister entre le capital et le travail.
Cette évolution, c’est d’abord celle des faits. Ils ont pour noms la mondialisation, les nouvelles technologies et le vieillissement démographique.
La mondialisation des échanges a pour corollaire d’accroître la part des capitaux étrangers dans nos entreprises. Cela est particulièrement vrai dans notre pays et il est vraiment affligeant de voir le chef de l’Etat et son gouvernement ne pas se poser la question de savoir que faire pour garantir le caractère national de ses entreprises et maintenir sur son territoire les centres de décision économique. Cette évolution amène également les entreprises à rechercher des actionnaires fidèles, qui le restent dans la tempête, et à motiver leurs salariés, toujours plus performants mais également plus mobiles.
Les nouvelles technologies révolutionnent, au quotidien, les relations au sein de l’entreprise. L’Internet, le télétravail, les micro-entreprises, l’externalisation et l’essaimage sont devenus des réalités qui imposent de repenser notre code du travail, marqué par une vision du salariat davantage tournée vers le passé que vers l’avenir.
La démographie, enfin, nous questionne sur l’équilibre des solidarités entre les générations. Comment faire, se demande encore l’Etat, pour assurer l’avenir de nos retraites ?
Dans le même temps, les idées aussi ont évolué. Lorsque les tensions idéologiques étaient à leur apogée, toute évolution sociale ne pouvait se concevoir qu’en termes d’affrontement. L’idée même d’actionnariat salarié était un compromis improbable. Tout salarié commençant à raisonner comme un actionnaire n’était plus vraiment un salarié, ce qui chagrinait les syndicats. Et s’il commençait à agir comme un actionnaire, il risquait alors d’indisposer les patrons. Aujourd’hui, les choses ont changé, lentement, les idéologies se dissolvent et les crispations disparaissent.
Dans ce contexte, la vieille idée, chère à Napoléon III et réactualisée par le Général de Gaulle, d’assurer au travers de la participation tout à la fois la rénovation économique de la France et la promotion ouvrière semble connaître une renaissance. Pour l’Etat, la participation est tout à la fois un instrument de cohésion sociale et de souveraineté économique. C’est aussi un moyen de drainer l’épargne vers le secteur productif et un instrument de pédagogie économique. Enfin j’ajouterai à cela l’indispensable prise en compte de la dimension morale et humaine.
En effet, comme l’avaient prédit Napoléon III et le Général de Gaulle à des époques différentes, la participation permet, au-delà du facteur de production, de faire du travailleur un acteur du développement économique et d’en retirer sa juste part. Toutefois, il serait aventureux de penser que l’idée de la participation est en passe de triompher, même si elle a connu de nombreux progrès. Des discours aux actes, le chemin peut être long et difficile. Il nous faudra en effet, collectivement, surmonter plusieurs obstacles afin d’assurer à cette idée toute la place qu’elle mérite.
Le premier obstacle, assurément le plus difficile, est celui de l’aversion qu’ont nos concitoyens pour le risque. Cela n’est pas une fatalité puisqu’il n’en a pas toujours été ainsi. Mais il faut bien admettre que cette réticence a été exaltée au cours des deux dernières décennies par le besoin de financement des déficits publics et une fiscalité extrêmement attrayante, qui ont accentué, de façon perverse, le goût de nos concitoyens pour la rentabilité sans risque. L’œuvre à accomplir est davantage d’ordre culturel que législatif. Pour autant, il ne faut pas leur dissimuler les risques que cela comporte. Ce serait en effet une erreur majeure de laisser croire aux salariés qu’ils peuvent avoir une confiance aveugle dans l’entreprise dans laquelle ils travaillent au point d’y mettre la plus grande part de leur épargne. Il faut au contraire que l’investissement soit fait de façon raisonnable et consciente. Un bon actionnaire salarié est un actionnaire volontaire et correctement informé.
Le second danger qu’il nous faudra écarter est la tentation de vouloir tout faire d’un coups, en assignant à la participation des missions qu’elle n’est pas en mesure de remplir. Je pense en particulier au problème des retraites et à tous ceux qui voient dans l’actionnariat salarié un possible retour aux fonds de pension. Les économistes le savent bien, chaque instrument de politique économique doit avoir un objectif et un seul. Or, les logiques de ces deux instruments sont trop différentes pour pouvoir être conciliées. L’actionnariat salarié postule l’investissement dans une seule entreprise, alors que la logique de prudence qui commande l’épargne retraite impose au contraire de diversifier ses placements. Attention donc : qui veut faire l’ange fait la bête !
Il n’est point nécessaire de refondre tous les textes existants pour promouvoir la participation. Quelques mesures appropriées pourraient y suffire amplement. La participation est un régime qui ne peut être décrété par quelques technocrates, elle se suscite.
Il faudra donc éviter de pervertir cette belle idée par nos habituelles querelles, si l’on veut éviter qu’elle s’enlise à nouveau. Le moment est désormais venu d’accomplir, dans une paix civile digne d’une démocratie réellement retrouvée, une véritable révolution sociale susceptible de conduire à une « nouvelle alliance » entre le capital et le travail.