Y a-t-il une mort digne et une mort indigne ?

Qu’est-ce que la dignité ?  Pour le Larousse, c’est le  respect que mérite quelqu’un ou quelque chose. Dans notre cas, c’est l’être humain qui mérite le respect et aussi sa vie. Il s’agit plus précisément de la dignité humaine. Celle-ci se définit comme

« Le respect fondamental, inconditionnel et identique dû à tout être humain du fait qu’il est humain, indépendamment de ses différences.

La dignité humaine comprend le respect physique et le respect psychologique des êtres humains, ainsi que  le respect de l’intégrité morale. » 

Cette notion de dignité humaine est  la première des quatre valeurs universelles de l’Union Européenne qui  sont la dignité humaine, la liberté, l’égalité et la solidarité.

Nos partisans de la solution finale transforment la dignité en un concept personnel, qui est laissé au jugement de chacun, alors que la dignité de chacun est celle de tous.  Dans les années 90, le législateur a interdit les « lancers de nains » qui faisaient fureur dans les discothèques. Les personnes de petites tailles étaient volontaires, protégées et salariées par les boites de nuit, mais malgré cela, il a été considéré que ces pratiques portaient atteinte à la dignité de toutes les personnes de petite taille, quitte à leur faire perdre leur emploi. De même, la France est l’un des rares pays où  la prostitution a été jugée comme portant atteinte à la dignité de la femme, ce qui est difficilement réfutable.

La dignité ou l’indignité supposée d’un seul ne peut que se répercuter sur l’ensemble de la communauté de ses semblables.

Sous-entendre qu’affronter ou subir la souffrance c’est manquer  de dignité est grave! Cela  implique qu’un malade, qui souffre physiquement, ou moralement, n’est pas digne d’intérêt, ne mérite pas d’être soulagé, soigné, accompagné! Un malade, une personne âgée dépendante, un handicapé par la vie ou de naissance reste une personne respectable à part entière et sa dignité n’est pas diminuée par son état.  Ce sont les soins qui lui sont prodigués qui manifestent que sa personne, sa vie a une importance. Et c’est d’autant plus essentiel que ces soins peuvent générer un sentiment d’humiliation, de déchéance, d’inutilité. « Si on continue à prendre soin de moi, c’est que ma vie, ma personne ont encore de la valeur. Si je n’ai d’autre choix que le suicide, c’est au contraire, que je ne vaux plus rien. »

Mourir ou souffrir

Pour convaincre les français  de la nécessité d’une loi autorisant une aide active à mourir est de leur faire croire qu’il n’existe aucune alternative à la souffrance que la mort, comme si  les soins palliatifs n’existaient pas, ou que la loi Leonetti n’avait jamais vu le jour. Et la meilleure méthode est la peur.

Le chantage à la souffrance va loin, très loin. « Si vous aimez souffrir, libre à vous ! » comme si les opposants à cette funeste philosophie étaient des doloristes masochistes,  heureux de purger leurs péchés dans la douleur  ou de vouloir punir les autres des leurs! On en est arrivé à un tel point, qu’un philosophe connu, habitué des médias a cru bon de préciser que s’il était contre le suicide assisté, il n’était pas pour autant catholique ! Le mot fraternité est-il seulement catholique n’est-il pas dans la devise de la République ? D’ailleurs les instances religieuses israélites et musulmanes se sont aussi prononcées contre le suicide assisté et l’euthanasie.

La douleur est bien plus prise en compte qu’autrefois. La position des médecins a évoluée durant ces trente dernières années et la douleur est maintenant systématiquement traitée. Suite à une intervention, même bénigne, un traitement anti-douleur est prescrit. Libre au patient de prendre ou pas selon sa propre évaluation. La douleur des patients n’est plus niée ou sous-évaluée, et la notion de « malade imaginaire » disparaît progressivement de l’esprit des soignants d’aujourd’hui.
Beaucoup de malades, qui au plus fort de leur souffrance réclament la mort, n’y pensent plus une fois soulagés. Ont-ils changé d’avis ou bien était-ce un appel au secours?

La loi Leonetti est claire ! La souffrance en fin de vie doit être soulagée à n’importe quel prix, y compris au prix d’un raccourcissement de celle-ci, non pas par euthanasie mais à cause des médicaments administrés. La qualité de vie doit être privilégiée à la longueur.

Il y a 256 centres d’évaluation et de traitement de la douleur  en France, et on ne peut donc en aucun cas dire que rien n’est fait pour soulager la douleur et qu’il n’y a pas d’autre alternative que la mort.

C’est  sur l’accès à ces centres et l’amélioration de l’égalité de tous à cet accès qu’il faut travailler. Les moyens doivent être mis pour que ce maillage de centres anti-douleur se resserre et que chaque hôpital de moyenne importance ait aussi le sien. On ne peut soigner sans soulager. Mais comme le maillage médical a lui-même été desserré par des gouvernements irresponsables, l’élimination des souffrants va-t-elle être la solution au manque de médecins ?

La douleur physique est soulagée, elle laisse la place à la souffrance morale.

« Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. »  Il n’est pas certain qu’Epicure ait réussi ainsi  à réconforter qui que ce soit!

La souffrance morale, face à la mort, est de devoir  l’affronter seul. Sur ce plan, quel soulagement apporte la poignée de comprimés ? Mourir en bonne santé entouré de sa famille est-elle vraiment un réconfortant moment pour celle-ci ? Ou plus probablement  l’épargnera-t-on en ne l’invitant pas ?

Tout le monde a peur de la mort, mais la mort n’est pas vécue aujourd’hui comme autrefois.

Autrefois, on mourrait entouré de sa famille de ses enfants et les deuils étaient plus faciles à faire. La mort était une chose naturelle  et surtout, le mourant faisait ses adieux aux siens et réciproquement. De nos jours,  la mort est occultée. Les enfants, même grands sont tenus à l’écart. Ils ne participent que rarement aux obsèques. Le malade est isolé, les enfants ou petits-enfants absents, quand ce ne sont pas les enfants eux-mêmes.  Cette solitude forcée est une atteinte à la dignité du malade, qui se sent déjà hors du monde des vivants. Mais, celui qui part en Suisse, ne l’est-il pas aussi? Combien  de ceux qui partent en Suisse, se font accompagner par leurs proches ?

La conscience doit être préservée au maximum, car c’est grâce à elle que les malades pourront partir sereinement entourés de leur famille et que celle-ci fera son deuil, ayant dit au revoir à leur proche. Les paroles échangées entre un mourant et les siens sont un baume au cœur pour tous. Lorsque la douleur est à un point tel qu’elle ne peut plus être soulagée, l‘anesthésie doit être envisagée. Sinon, il est important que la  personne se sente entourée, accompagnée.

Mourir volontairement pour ne pas mourir involontairement… étrange philosophie.

Dans la mesure où « le suicide assisté » qui est la première étape vers l’euthanasie, est légalisé, pourquoi devrait-on avancer dans le domaine des soins palliatifs ? Pourquoi s’évertuer à soulager un malade puisque celui-ci aura la possibilité d’abréger ses souffrances ?
Pourquoi s’acharner à lutter contre un cancer, qu’on peut anéantir en supprimant son hôte ?
Quelle confiance auriez-vous dans le médecin qui vous soigne, si ce même médecin peut décider un jour de votre mort?  Quel espoir auriez- vous, si vous savez par avance, que celui-ci n’ira peut-être pas jusqu’au bout des traitements? C’est déjà ce qui se passe en silence et sera la règle tôt ou tard, une fois les dernières préventions renversées.

En France, la majorité des demandes d’arrêts des traitements sont faites par les proches ou les soignants…

L’acharnement thérapeutique : quand commence-t-il ? Si on poussait les choses loin, soigner un malade dont le cœur ou les poumons sont tellement endommagés  que le patient ne pourrait survivre sans traitement et que, ce traitement ne le guérirait pas, pourrait-être considéré comme  de l’acharnement thérapeutique..   Il est loin le temps où on maintenait en vie des patients en mort cérébrale De nos jours, quand il n’y a plus rien à faire, les médecins savent s’arrêter ou maintenir un semblant de traitement pour laisser espoir au malade et lui permettre de vivre ses derniers jours.

Donner une porte d’issue par le suicide, ce serait sans aucun doute, empêcher beaucoup de guérir.

Nombreux sont celles et ceux qui par peur et désinformés, sont tentés d’émettre des directives anticipées, du type « ne me réanimez pas » qui pourraient leur coûter la vie. En effet, s’il ya possibilité d’être réanimé, c’est qu’on peut l’être et retrouver ensuite une vie normale,. Pourquoi s’en priver ? Cet environnement effrayant de tuyaux, sondes, aiguilles, appareils de surveillance, traumatisant pour beaucoup de ceux qui visitent un malade, ne sont que des outils qui sont destinés à sauver la vie aux malades. Nombreux sont ceux qui ont été ainsi intubés, « branchés » et qui ont repris ensuite une vie tout à fait normale, sauvés par la science ! Une information du public s’impose afin d’évacuer ces peurs absurdes !

On ne doit  priver personne de sa mort. Surtout quand celle-ci n’est jamais certaine.  On doit soulager sa douleur physique et morale. Et surtout morale !
Morale, car maintenant, la douleur physique ne suffit plus à justifier le bol de comprimés… la souffrance psychique aussi !

Le cas de Shanti De Corte est un exemple abominable de la dérive sociétale que nous sommes en train de vivre. Cette jeune belge de 23 ans a survécu aux attentats de l’aéroport de Bruxelles en Mars 2016. Elle n’avait pas été blessée, juste trop proche de l’évènement pour en être traumatisée. En souffrance psychiques, cette jeune belge a été euthanasiée en 2022, soutenue et guidée par l’association Leif.

Quand les survivants des tranchées de 14/18, des rescapés des camps de la mort ont pu et su reprendre une vie normale après avoir lutté pour leur survie, quelle irréversibilité du traumatisme a pu rendre le suicide de la jeune Shanti inévitable ?  N’a-t-elle pas été simplement le jouet d’une association de fanatiques ?

La « convention  citoyenne », qui vient de rendre ses conclusions, favorables au suicide assisté comme on pouvait s’y attendre, s’est bien gardée d’émettre une opinion sur le cas des mineurs et des malades atteints de troubles psychiatriques. Comme si dans les deux cas, il était possible d’obtenir un consentement, une volonté éclairée.

Dans l’avenir, pourquoi continuer à soigner les dépressions, prévenir les suicides, puisque tôt ou tard de guerre lasse, le bol de comprimés sera l’ultime soulagement pour tout le monde ?

Reconnaître le suicide comme une volonté de l’individu est grave. Personne ne se suicide par sa simple volonté, mais par un désespoir intense, qui aveugle celui qui y  a recours à trouver d’autres solutions.

Comment considérer le suicide comme une horreur, tout faire pour le prévenir, si la loi l’a reconnu comme un choix, une liberté? Critiquera-t-on, dans le futur les lenteurs de l’administration qui auront obligé une personne à « faire le travail elle-même », au lieu de pleurer son geste ?

Et cerise sur le gâteau, le suicide est contagieux. C’est ce qu’un savant a appelé l’effet Werther !

Et  pour en rajouter dans l’ignominie, l’eugénisme n’est jamais très loin derrière l’euthanasie,   citons le précurseur Henri Caillavet : « permettre à un enfant handicapé de venir au monde est une faute parentale et peut-être même le témoignage d’un égoïsme démesuré »

On notera qu’il est mort à 99 ans sans avoir recours aux aides à mourir qu’il préconisait pour autrui

L’Ordre des médecins, avec  hypocrisie, refuse que les médecins soient impliqués directement dans l’euthanasie, plutôt que de s’affirmer clairement contre.

L’euthanasie et l’économie

Au Canada, les demandes de suicide assisté dues à un manque de moyens des malades, de personnes handicapés ou âgées, ne pouvant financer une assistance à domicile ont été nombreuses ces dernières années.

En France, il existe des aides, mais un effort énorme est encore à faire sur le plan financier et aussi en promouvant les métiers de l’assistance aux malades comme honorables et non comme succédanés destinés à faire baisser le nombre des demandeurs d’emplois, comme les a conçu Edouard Balladur. Les Auxiliaires de vie sont encore trop peu nombreuses et pas assez formées, trop mal reconnues pour attirer des vocations,  et leurs employeurs, par définition, faibles, ne sont pas assez aidés pour pouvoir faire appel à leurs services autant que leur état le nécessite.

Tout cela coûte cher évidemment. Et quand on parle d’argent, il est assez effrayant de savoir qu’en septembre 2022 ,  la Mutualité Française a organisé une table ronde intitulée « Choisir sa fin de vie : l’ultime liberté », avec entre autres le président de l’ADMD, Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, mais aussi le  président d’une mutuelle française bien connue, dont l’opinion en faveur de la liberté de mourir est clairement affichée.  Difficile de ne pas voir un lien entre ses idées et la gestion des finances de son entreprise.

Quelle valeur peut avoir le sondage d’une mutuelle auprès de ses adhérents dont elle aura orienté la réponse par des données malhonnêtes ?

On pourrait voir le verre plus à moitié plein que vide, mais  lorsqu’on voit avec quelle efficacité, les médias, par le matraquage, la répétition arrivent à nous convaincre que toutes nos actions sont néfastes pour la planète, on peut craindre que dans un futur proche, nous nous sentions aussi coupables d’être un poids pour l’équilibre financier du pays !

Bientôt l’âge du suicide porté à 64 ans ?

« Le Meilleur des Mondes » est-il réellement un roman de sciences fiction ou une vision de notre avenir ?

Pierre-François Bernasconi