L’Atlantique contre l’Oural

La fratricide guerre en Ukraine est une monstruosité géostratégique.

Des nostalgiques de la guerre froide du temps de l’Union Soviétique ont accumulé les
provocations contre l’ours russe jusqu’à le rendre furieux. L’implantation de missiles en Pologne et
Roumanie rappelle à contresens la pitoyable tentative de Khrouchtchev d’installer des ogives
nucléaires à Cuba en 1962. Ressenti comme un défi, le projet d’intégration de l’Ukraine à l’OTAN
apparaît comme une scorie d’un temps heureusement révolu.

Il faut une fois pour toutes se débarrasser des idéologies et s’en tenir aux réalités. Le conflit
entre l’Ukraine et la Russie procède fondamentalement du tracé de la frontière entre les deux pays
après l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991 et la naissance de républiques indépendantes,
dont l’Ukraine. La frontière naturelle entre les deux pays est le fleuve Dniestr, à l’est duquel vivent
les populations russophiles et russophones du Donbass, riche bassin industriel. Lors du tracé de la
frontière, a prévalu la généreuse intention de l’englober dans la nouvelle république d’Ukraine pour
équilibrer son économie, mais avec la promesse formelle de ne point opprimer son particularisme.

Mais l’enfer étant pavé de bonnes intentions, cette promesse ne fut pas tenue, et en 2014 une
guerre civile s’ensuivit dans le Donbass. Le président Hollande jeta de l’huile sur le feu en annulant
un contrat de vente à la Russie de deux navires de guerre. Le Donbass revendiqua son indépendance
et en appela à la Russie protectrice. Réunis à Minsk en 2014, les diplomates ukrainiens, russes,
allemands et français, trouvèrent un accord de paix, sage et équilibré. Décevant ses protégés,
Poutine, pour calmer le jeu, évita de défendre leur indépendance, à la condition expresse de la
reconnaissance de la légitime autonomie du Donbass. Mais de troubles interférences, étrangères aux
pays signataires, firent immédiatement capoter l’arrangement, remettant le feu aux poudres. Puis
vinrent s’ajouter les provocations évoquées plus haut, relançant et envenimant la guerre civile dans
le Donbass. Au bout de huit années d’affrontements meurtriers, les indépendantistes furent sur la
point de succomber en février dernier. Des colonnes de réfugiés dont on n’a pas parlé
commençaient à déferler en Russie. Poussé à bout, le tsar russe vit alors rouge. Poutine reconnut
brutalement l’indépendance du Donbass et, à la demande officielle de ses dirigeants, ouvrit les
hostilités que l’on sait. Au vu de la modicité relative des forces engagées, on peut penser que son
but de guerre se limite au Donbass et à ses prolongements naturels, sauf dérapage toujours possible
si la raison ne prévaut pas.

L’Ukraine se rend compte à présent qu’elle sert de chair à canons aux idéologues qui lui ont
apporté la guerre et qui se dérobent à la défendre directement. Ses intérêts bien compris lui dictent
de se passer de tous les intermédiaires douteux pour une négociation en tête à tête avec la Russie,
sa cousine, en vue d’un retour aux sages accords de Minsk. On apprend le 10 mars que le processus
est heureusement enclenché.

La grande leçon à tirer de l’affaire est que la géostratégie est incompatible avec l’idéologie.
La folle guerre d’Ukraine est en fait une guerre civile occidentale. Ethniquement, culturellement et
historiquement, la Russie est consubstantielle à l’Occident, face à l’autre grand bloc géopolitique
d’Asie. Aujourd’hui, l’OTAN ne doit plus se concevoir qu’à l’échelle de l’Occident. La faute la plus
grave en géostratégie est de se tromper d’ennemi.

Alors, allons de l’ Atlantique à l’Oural et n’opposons plus l’Atlantique à l’Oural !

Général Michel Franceschi

Natif de Corse en 1930, le général Franceschi a accompli une carrière militaire commençant à l’École d'Officiers de Saint-Cyr en 1951 et s’achevant en 1990 au grade de Général de Corps d’Armée (quatre étoiles).

Diplômé de l’École d’État-Major et breveté de l’École Supérieure de Guerre, il a servi essentiellement dans les parachutistes des Troupes de Marine (anciennes Troupes Coloniales), la plupart du temps loin des États-Majors et des cabinets.

Son cursus professionnel s’est, en effet, principalement déroulé dans l’excercice de commandements et de responsabilités sur le terrain, notamment :

. Le commandement d’une compagnie de parachutistes en opérations en Algérie, de 1958 à 1960.

. Le commandement du 1er Régiment de parachutistes d’Infanterie de Marine, unité de forces spéciales, de 1976 à 1978 …

. Le Commandement Supérieur des Forces Armées de Nouvelle Calédonie de 1984 à 1988, durant les événements qui secouèrent ce territoire.

Autre caractéristique notable, il a longuement  exercé hors de France : deux ans en Algérie – trois en Côte d’Ivoire, Guinée et haute-Volta (Burkina Faso) – cinq au Sénégal – trois au Zaïre (République Démocratique du Congo) – et quatre  dans le Pacifique.