Par le Général Michel Franceschi
Alors que le 12 décembre prochain une partie des néo-calédoniens sont appelés à se prononcer sur l’indépendance ou non de l’île, le général Franceschi vient nous livrer son expérience sur le sujet. Il nous apporte un éclairage indispensable pour comprendre la réalité des malversations politiques indignes d’une démocratie. Membre de L’Appel au Peuple, le général Franceschi, de par son expérience du terrain est la personne la mieux placée pour mettre lumière les différentes étapes, trahisons, reculade, qui amènent à ce 3ème référendum.
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Cette tribune actualise le témoignage d’un ouvrage de l’auteur publié en 1998 par les Éditions Pygmalion – Gérard Watelet, «La démocratie massacrée, Nouvelle-Calédonie, Témoignage». Il est rappelé ici pour servir de banque de détails du sujet traité. Il est toujours disponible d’occasion ou en numérique.
Commandant Supérieur des Forces Armées de Nouvelle-Calédonie de 1984 à 1988, l’auteur de ces lignes fut un observateur aux premières loges des événements qui secouèrent le territoire durant toutes ces années. Il sait donc ce qu’il dit et il ose dire ce qu’il sait.
Pour saisir tout l’enjeu du référendum du 12 décembre 2021, il faut commencer par évoquer les données de base de la question calédonienne, puis rappeler l’historique de la crise que vit la Nouvelle- Calédonie depuis 1984, et dont ce quatrième référendum constitue le dernier avatar.
Données de base :
La Nouvelle-Calédonie est un archipel des antipodes, deux fois plus étendu que la Corse et peuplé seulement de 270.000 habitants en 1984 (293.000 aujourd’hui). Il rassemble une mosaïque d’ethnies dont la cohabitation constitue justement le problème. On dénombre en gros 42 % de Mélanésiens ou Kanaks, 38 % de résidents et métis de souche européenne, présents pour la plupart depuis plusieurs générations, et 20 % de divers, majoritairement Océaniens et Asiatiques.
En matière économique, le territoire est le troisième producteur mondial de nickel.
Sur le plan géopolitique, la Nouvelle-Calédonie apporte à la France un espace maritime de deux millions de km², participant avec ses autres possessions ultramarines à lui donner sa dimension mondiale, en faisant profiter l’Europe.
Sa valeur stratégique a été démontrée durant la seconde guerre mondiale. Elle a pris de l’importance avec l’émergence au premier rang du théâtre Asie-Pacifique et la montée en puissance de la Chine.
Mais, quelles que soient leur importance, ces données naturelles ne peuvent supplanter la volonté de sa population dans la solution de la crise que vit la Nouvelle-Calédonie.
La crise calédonienne :
Il faut affirmer d’emblée qu’il ne s’agit pas d’un problème de décolonisation. La Nouvelle-
Calédonie n’est plus une colonie depuis son choix en 1946 de devenir un Territoire d’Outre-Mer.
Elle a ensuite confirmé cette volonté par son vote massif en 1958 pour la Constitution de la Vème République. Le problème réel provient de la cohabitation de communautés de culture et de rythme de développement différents, engendrant des inégalités conflictuelles. Les troubles sont passés par trois phases :
- De l’explosion de la violence à l’offre de l’autodétermination.
- Le complot terroriste résiliant le verdict des urnes.
- L’échafaudage d’une indépendance forcée.
De l’explosion de la violence à l’offre de l’autodétermination :
A l’occasion des élections territoriales boycottées (déjà !) du 18 novembre 1984, le FLNKS
(Front de Libération Nationale Kanake Socialiste), d’essence marxiste, déclenche une violente insurrection visant à empêcher le scrutin. Les forces de l’ordre se montrent d’une troublante passivité. La Gauche au pouvoir manifeste sa compréhension de l’émeute. Les désordres se poursuivent longtemps, faisant planer le spectre d’une guerre civile. Le FLNKS impose son autorité presque partout en dehors de la capitale Nouméa. Il se dote même d’un gouvernement provisoire.
Les choses se calment avec le changement de majorité politique en métropole en mars 1986. Voulant avoir le cœur net de l’opinion des Calédoniens, le gouvernement Chirac décide de les consulter par voie de référendum. En raison de la minutie de sa préparation et de l’obstruction parlementaire de l’opposition, il ne pourra se dérouler qu’à la date trop tardive du 13 septembre 1987. Nous allons nous étendre sur cet acte authentique d’autodétermination, noyé dans le sang pour le faire passer carrément à la trappe, au point que plus personne n’en a conservé le souvenir. Très étrange non !
Afin d’assurer la parfaite sincérité des résultats du scrutin, son organisation et son déroulement furent entièrement confiés à l’ordre judiciaire, rendant toute accusation de fraude électorale passible d’outrage à magistrature.
La procédure commença par le toilettage des listes électorales, dont s’acquittèrent d’abord 40 magistrats métropolitains.
A la mi-juillet 1987, s’installa à Nouméa une équipe souveraine de 8 autres magistrats. Elle eut pour mission, la vérification des listes électorales, l’officialisation de la liste des participants, la supervision de la composition des bureaux de vote, le recensement des suffrages exprimés et, enfin, la proclamation des résultats.
Le jour du scrutin, 141 autres magistrats furent dépêchés de Métropole pour présider les 141 bureaux de vote.
Craignant à juste titre le secret de l’isoloir, le FLNKS s’était réfugié dans sa coutumière et sournoise abstention, avec l’argument que l’autodétermination ne pouvait concerner que les seuls Kanaks.
A l’ouverture des bureaux de vote, on remarqua des piquets d’intimidation du FLNKS, à leur entrée et jusqu’à l’intérieur. Mais la présence d’un imposant service d’ordre assura partout le bon déroulement des opérations électorales.
Les résultats furent sans appel, voire renversants. Les Loyalistes obtinrent 98 % des votants pour seulement 1,67 % aux Indépendantistes. Malgré les pressions de toutes sortes du FLNKS, l’abstention, clé du scrutin, ne s’éleva qu’à 40,9 %. Après retranchement des quelques 25 % incompressibles d’abstentionnistes naturels, politiquement neutres, et en tenant compte des 1,67 % de bulletins pour l’indépendance, l’audience réelle du FLNKS fut estimée à environ 20 %. Par rapport à ses prétentions, il essuya un désastre.
Le référendum fit également une très éminente victime collatérale en la personne du président Mitterrand, désavoué comme promoteur de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, en vertu de l’une de ses promesses électorales.
Mais on passa totalement sous silence, et pour cause, le résultat le plus significatif de ce scrutin, le vote des Mélanésiens. Une analyse poussée des résultats révéla que l’indépendance y était minoritaire, autour de 40 %.
La «messe» calédonienne aurait dû donc être dite dès le 13 septembre 1987. Mais, comme on le sait, il n’en fut rien. Profitant des effets pervers de la cohabitation politique du moment, un complot subversif, que l’on peut qualifier d’État, fut tramé par le pouvoir en place. L’ultra Gauche révolutionnaire parvint à faire basculer dans le terrorisme le FLNKS manipulé.
Le complot terroriste résiliant le verdict des urnes :
Après coup, on peut décrire le scénario en trois phases de l’opération. La première consista à retarder par harcèlement parlementaire la date du référendum pour la rapprocher au plus près de celle, sensible, de l’élection présidentielle de mai 1988. La deuxième phase consista à faire couler le bain de sang d’Ouvéa en avril pour traumatiser l’opinion métropolitaine et favoriser ainsi la réélection de Mitterrand, champion de l’indépendantisme calédonien. Enfin, une fois la Droite éliminée, on profita de l’aubaine de l’accablement capitulard de ses dirigeants, pour jeter aux orties en toute légalité le référendum du 13 septembre 1987. Ainsi la volonté quasi unanime de la population calédonienne, toutes tendances confondues, n’a compté que pour du beurre !
Le gouvernement Rocard n’éprouva guère de peine à faire approuver par une Droite tétanisée par sa défaite les très suspects Accords de Matignon de juin 1988. Pour leur donner un vernis de légitimité, on les soumit au référendum national du 6 novembre suivant. Mais, plus lucide que ses élites, le peuple flaira la magouille politicienne. En métropole, l’abstention dépassa 63 %. Les Accords ne furent approuvés que par 26 % des Inscrits, en raison de la très forte abstention. En Nouvelle-Calédonie, il en fut presque de même, malgré le ralliement du leader loyaliste Lafleur. Ils ne furent approuvés que par 57 % des Votants et 33 % des Inscrits. Peu suivi, Lafleur présenta sa démission. Conscient de la valeur de ce joker politique, Rocard parvint à l’en dissuader.
La principale disposition des Accords de Matignon consista en la décision d’offrir aux Calédoniens un nouveau référendum d’autodétermination arrangé en 1998, dix ans plus tard. Mais à l’approche de cette date, les sondages donnèrent toujours un net avantage aux Loyalistes. Alors, persévérant dans le préjugé d’une indépendance naturelle, on inventa l’inqualifiable Accord de Nouméa d’avril 1998.
L’échafaudage d’une indépendance forcée :
Incroyable mais vrai, ce monstre démocratique fut plébiscité par le Congrès du Parlement du 6 juillet 1998, suivi du référendum calédonien du 8 novembre suivant. La mystification idéologique fonctionna à merveille, permise par la décrépitude de l’opposition et un nouveau reniement des dirigeants loyalistes calédoniens.
Cette fois-ci on ne lésina sur rien pour verrouiller l’indépendance à terme. Que l’on en juge par ces quelques extraits du régime transitoire mis en place à cet effet : « un partage des souverainetés avec la France, sur la voie de la plaine souveraineté (…) Les institutions de la Nouvelle-Calédonie traduiront la nouvelle étape vers la souveraineté (…) Les compétences transférées ne pourront revenir à l’État, ce qui traduira le principe d’irréversibilité de l’accord (…) l’État reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de cette période, d’une complète émancipation». C’est clair, il n’est plus question d’autodétermination, mais de l’imposition dictatoriale de l’ indépendance en jouant sur le temps.
Un nouveau référendum fut ainsi prévu vingt ans plus tard, en spéculant sur la démographie favorable aux Mélanésiens. De plus, on amputa le corps électoral des citoyens ayant moins de 10 ans de résidence sur le territoire.
Mais on fit beaucoup plus. Pour assurer définitivement le coup, on adopta l’aberrante disposition de renouveler ce référendum deux fois, jusqu’à ce que l’indépendance finisse enfin par sortir des urnes. Ce monstre démocratique fut étrangement accepté sans rechigner par les Loyalistes, grugés par leurs représentants et l’opposition de Droite, toujours anesthésiée.
Reprenons le fil des événements. Faut-il que la Nouvelle-Calédonie ait la France chevillée au corps ! L’indépendance n’est toujours pas sortie des deux premiers référendums programmés. Celui du 4 octobre 2018 a donné 56,67 % de NON à l’indépendance pour 43,35 % de OUI. Celui du 4 octobre 2020 a marqué un progrès de l’indépendantisme, avec 53,26 % de NON pour 46,74 % de OUI.
Qu’en sera-t-il le 12 décembre ? Sans aucune certitude sur le résultat, il est probable que la Nouvelle-Calédonie décidera de rester française, mais par un score étroit, favorisant la contestation. Quoi qu’il en soit, le 12 décembre la Nouvelle-Calédonie a un ultime rendez-vous avec la Démocratie. Après, il restera à savoir si le FLNKS s’inclinera enfin devant le suffrage universel.
Il est probable qu’il ne se résignera pas. Il arguera d’abord que le covid 19 a faussé les résultats. Il continuera d’internationaliser la question devant le comité de décolonisation de l’ONU, son allié. Il ne cessera d’arguer que l’autodétermination ne s’applique qu’aux Kanaks, premiers occupants de la Nouvelle-Calédonie. Mais sur ce dernier point, des scientifiques ont récemment découvert que les Mélanésiens ont été précédés par un autre peuple qu’ils ont chassé, la civilisation Lapida. Horreur et damnation !
De toutes façons, on ne sera pas prêt d’en finir avec la question calédonienne. La bombe à retardement de l’irréversibilité des exorbitantes concessions à l’indépendantisme, de surcroît vicieusement inscrites dans la Constitution, va donner bien du fil à retordre à ceux qui seront chargés d’écrire le futur statut de la Nouvelle-Calédonie.
En priorité, il importera de soustraire la question calédonienne des griffes des idéologues et des réseaux d’influence.
Général Michel Franceschi
Natif de Corse en 1930, le général Franceschi a accompli une carrière militaire commençant à l’École d'Officiers de Saint-Cyr en 1951 et s’achevant en 1990 au grade de Général de Corps d’Armée (quatre étoiles).
Diplômé de l’École d’État-Major et breveté de l’École Supérieure de Guerre, il a servi essentiellement dans les parachutistes des Troupes de Marine (anciennes Troupes Coloniales), la plupart du temps loin des États-Majors et des cabinets.
Son cursus professionnel s’est, en effet, principalement déroulé dans l’excercice de commandements et de responsabilités sur le terrain, notamment :
. Le commandement d’une compagnie de parachutistes en opérations en Algérie, de 1958 à 1960.
. Le commandement du 1er Régiment de parachutistes d’Infanterie de Marine, unité de forces spéciales, de 1976 à 1978 …
. Le Commandement Supérieur des Forces Armées de Nouvelle Calédonie de 1984 à 1988, durant les événements qui secouèrent ce territoire.
Autre caractéristique notable, il a longuement exercé hors de France : deux ans en Algérie – trois en Côte d’Ivoire, Guinée et haute-Volta (Burkina Faso) – cinq au Sénégal – trois au Zaïre (République Démocratique du Congo) – et quatre dans le Pacifique.