Rapport synthétique à propos du projet de parc éolien en mer face à Dunkerque

Les pêcheurs de Saint-Brieuc ont montré le 7 mai leur mécontentement, en encerclant le navire plate-forme chargé de la construction du parc situé dans cette zone, l’un des nombreux projets qui doivent voir le jour en France dans le but de porter la part des énergies renouvelables à 40 %.

Un projet semblable est prévu au « large » de Dunkerque. La première question soulevée est d’ordre pratique : avons-nous besoin de cette énergie, localement ? EDF invoque une puissance (« maximale ») de 600 MW pour ces 46 éoliennes de 300 mètres de haut, puissance qui permettrait d’alimenter un million d’habitants du Nord, ce qui est presque dix fois inférieur à la puissance de la centrale nucléaire de Gravelines. Située à 20 km, elle est la plus puissante d’Europe de l’ouest avec ses six réacteurs nucléaires délivrant 5460 MW de puissance, ce qui suffit déjà amplement aux besoins de l’ensemble de la région.

En matière d’économie locale, n’oublions pas les pêcheurs dunkerquois, qui ont quasiment disparu ces dernières années et seront achevés par le projet : les éoliennes détruisent les fonds marins et font fuir les espèces animales locales, réduisant la manne économique liée à la pêche, un secteur en forte difficulté. Le projet permettrait néanmoins de créer localement une cinquantaine d’emplois, ce qui n’est pas rien et reste louable, mais n’est pas non plus un chiffre absolument extraordinaire. Il est évalué à 1,4 milliard d’euros, ce qui portera le coût de production d’électricité à 45€/MWh d’après les maîtres d’ouvrage. C’est un coût bas, mais pas beaucoup plus que celui du parc nucléaire actuel (48€/MWh d’après la Commission de Régulation de l’Énergie en 2020[1]) pour des désavantages extrêmement nombreux.

Vient en effet la question écologique : le bilan carbone de l’éolien est deux fois plus élevé que celui du nucléaire[2], pour une durée de vie de seulement 30 ans contre 40 à 60 ans pour les réacteurs nucléaires de troisième génération. La zone d’implantation elle-même pose de gros problèmes environnementaux. L’impossibilité d’y mettre des éoliennes flottantes (la profondeur est insuffisante) impose la construction d’éoliennes sur pied sur des fonds marins fragiles, qui seront mis en danger. D’autre part, la zone se trouve en plein milieu d’un couloir de migration, le plus important d’Europe, dans un endroit classé Natura 2000 et donc protégé. Il s’agit aussi, pour cette plage, de l’un des derniers sites naturels de Dunkerque, une ville industrialisée à l’extrême. Les éoliennes ne fonctionnant que de manière intermittente imposent le recours à une énergie issue principalement du charbon, dont le bilan carbone est 150 fois supérieur à celui du nucléaire. Les matériaux de construction mettent en jeu des terres rares extrêmement polluantes. Invoquer l’écologie pour implanter ce champ éolien en mer du Nord est donc un mensonge pur et simple. Lors d’un premier débat organisé en 2016 par la Commission Nationale du Débat Public, les représentants de l’État furent incapables de répondre dans un premier temps aux questions sur la dimension écologique et de manière générale à « des questions centrales » de ce débat[3]. Cette dimension écologique, les maîtres d’ouvrage (le consortium EMD ainsi que RTE qui sera chargé du raccordement) prétendent pourtant la respecter dans leurs vidéos promotionnelles sur le projet[4], sans indiquer de quelle manière. Ces questions ne semblent pas avoir reçu de réponses claires et précises à ce jour, malgré le récent second débat qui s’est clôturé au mois de décembre.

Autre point, et non des moindres, les acteurs de la construction eux-mêmes soulèvent quelques questions. Si le choix d’EDF par l’État est louable, l’entreprise n’est pas seule dans le groupement EMD qui comprend aussi Enbridge, une entreprise américaine, et Innogy, une entreprise allemande. Le risque de voir EDF céder ses parts une fois le projet construit est plausible, et l’on peut légitimement se demander, au regard de la fragilité d’EDF, s’il ne s’agit pas là d’un placement financier – qui d’ailleurs soulève aussi l’épineuse question du transfert de technologie à des puissances étrangères. La chose s’est produite récemment, avec la cession par EDF du terminal méthanier de Dunkerque[5] au groupe belge Fluxys.

La qualité de vie dunkerquoise sera affectée par ce parc éolien. La zone est située à 10 km de la côte (pas tout à fait « au large » !), les éoliennes seront donc visibles depuis celle-ci, défigurant le paysage, comme on peut le constater sur les photomontages de simulation[6]. C’est le tourisme de cette zone qui en sera mis à mal, l’hôtel quatre étoiles en construction face à la mer en est un bon exemple : il aura vue sur le champ d’éoliennes[7]. Le port industriel de la ville n’est déjà pas des plus esthétiques, mais il sera désormais impossible de simplement détourner le regard : les éoliennes occuperont l’horizon.

Certaines personnes avancent aussi les problématique culturelles et historiques posées par le projet, auxquelles je ne peux qu’être sensible en tant qu’historien. Les plages de Normandie bénéficient d’une protection à ce titre. Or, la plage de Dunkerque fut le théâtre de l’opération Dynamo en 1940, pourquoi ne devrait-elle pas, elle-aussi, bénéficier de la même protection ? Certains participants au débat ont ainsi soulevé une inégalité de traitement à ce propos entre les différentes régions.

Si le tout nucléaire n’est pas envisageable, une électricité d’origine diversifiée étant indispensable à notre souveraineté énergétique, et si l’éolien en mer est sans doute préférable à un éolien terrestre – peu productif – ou à l’hydrolien – loin d’être au point –, ce projet en particulier semble néanmoins comporter plus d’inconvénients que d’avantages. Ses acteurs sont motivés idéologiquement pour ce qui concerne l’État et économiquement pour les maîtres d’ouvrage, mais prêtent peu l’oreille aux protestations des habitants et des associations. Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, refuse de réaliser un référendum local[8]. Pourtant, des milliers de français, signataires d’une pétition, en réclament l’organisation, d’après Claude Nicolet[9], élu au conseil municipal de la ville.

Ces décisions sont imposées vaille que vaille malgré une opposition flagrante des populations, allant du propriétaire qui verra la valeur de sa maison chuter, aux derniers pêcheurs qui perdront la source de leurs revenus, en passant par le simple citoyen qui ne pourra plus porter les yeux à l’horizon sans être forcé de contempler un champ de machines.

Pierre BUFACCHI

Image par marliesplatvoet de Pixabay 

 

[1] https://www.usinenouvelle.com/article/la-cre-evalue-a-48-mwh-le-cout-de-production-du-nucleaire-d-edf-selon-lejournal-contexte.N1002934

[2] CNDP, « Dunkerque – éolien en mer. Compte-rendu du débat public », p.36.

[3] CNDP, « Débat public : Projet de parc éolien en mer au large de Dunkerque », Bilan de la présidente, p.2, [en ligne], https://dunkerque-eolien.debatpublic.fr/images/documents/DunkerqueEolien-bilan.pdf

[4] https://www.rte-france.com/raccordement-dunkerque  

[5] https://www.usinenouvelle.com/article/edf-et-total-negocient-la-vente-du-terminal-methanier-de-dunkerque-a-deux- consortiums.N714084

[6] http://parc-eolien-en-mer-dunkerque.geophom.info/

[7] https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/vent-d-opposition-contre-les-eoliennes-en-mer-de-dunkerque- 1610984930

[8] https://www.20minutes.fr/planete/3039487-20210512-energies-renouvelables-france-marche-forcee-vers-eolien- mer

[9] https://www.claudenicolet.fr/index.php/prises-de-positions/1063-eolien-lettre-ouverte-au-maire-de-dunkerque-et- president-de-la-cud