Tout au long de mon Tour de France à moto en septembre dernier, j’ai rencontré des Français de toutes origines et de toutes conditions. La relation de leurs expériences, leurs propositions généreuses, leurs déceptions mais aussi leurs révoltes ont largement enrichi ma perception du pays et j’ai souhaité devenir l’ambassadeur de leur propos.
Parmi eux Nicolas Sieyès est un exemple de ces citoyens français qui n’hésitent pas à se battre contre un système énorme mais inefficace, coûteux mais inutile, organisé mais destructeur par son apathie. Je m’étais engagé à relater sa déplorable expérience, c’est le moment aujourd’hui.
Nicolas vit dans un de nos département de l’ouest. Jeune commercial dans le secteur des télécommunications, il subit de plein fouet les conséquences de la baisse d’activités en raison de la pandémie et fit l’objet d’un licenciement économique fin août 2020.
Son caractère très dynamique, pousse Nicolas à se lancer tout de suite dans la quête d’un nouvel emploi. Il s’inscrit naturellement à Pôle Emploi dès le 1er septembre 2020.
Après avoir constitué son dossier d’inscription, Nicolas consulte quotidiennement le site. Premier constat étonnant, tous les messages sollicitant de nouvelles pièces constitutives de son dossier lui parviennent 3 à 4 jours après leurs dates d’émission. De quoi surprendre un ancien employé du privé. A la fin du mois de septembre les rendez-vous établis avec son conseiller personnel sont soudainement tous annulés.
Toutes ces correspondances se font sur le téléphone portable de Nicolas qui ne dispose plus d’ordinateur depuis qu’il a perdu son emploi. Parfois le texte du message n’apparaît pas et seul l’objet « annulation du rendez-vous » était notifié.
Sans aucune information et n’ayant toujours pas obtenu la désignation de son conseiller, Nicolas prend l’initiative de se rendre directement à Pôle Emploi. Il est alors invité à patienter et à persévérer dans la consultation régulière de ses messages. Un premier sentiment d’inquiétude s’empare de lui.
Au bout d’un mois Nicolas obtient cependant le calcul de ses indemnités. Rien à dire le logiciel fonctionne malgré un calendrier de versements qui commence 6 semaines après sa perte d’emploi. Mais nouvelle déception, les indemnités compensatoires qui sont en fait une « allocation de départ » en complément du salaire, sont prises en compte dans le calcul de ses indemnités. Il ignorait comme beaucoup cette disposition administrative.
Le 1er octobre, un ami de Nicolas lui propose un CDD d’un mois dans sa bijouterie pour faire face à une augmentation d’activités. Nicolas accepte et se rend à Pôle Emploi pour les informer de cette évolution. On le reçoit comme un extra-terrestre mais on est toujours incapable de lui désigner un conseiller. La réaction de Nicolas devient très agacée puis fortement désagréable. On lui demande de patienter et au bout de dix minutes son conseiller est enfin identifié.
Nicolas est alors reçu et demande des explications pour les annulations de rendez-vous qui précédèrent cette entrevue. Il lui est répondu que les chômeurs de moins de 5 ans ne sont pas prioritaires. Notre grognard redevient un extra-terrestre lorsqu’on s’étonne de son empressement à chercher un emploi alors qu’il va bénéficier de deux ans d’indemnités.
Finalement Nicolas reçoit une date de rendez-vous début décembre. Entre temps son patron temporaire, satisfait de ses services a renouvelé son CDD pour 2 mois. Nicolas informe son conseiller qu’il ne sera donc disponible que le lundi matin du fait de ses obligations professionnelles.
Le premier rendez-vous officiel est alors remis au 20 décembre 2020. C’est le premier depuis que Nicolas est inscrit à Pôle Emploi, il y a près de quatre mois.
Pendant tout ce temps Nicolas a eu le temps de réfléchir et de confirmer un rêve d’enfance entretenu par le souvenir de son père. Nicolas veut devenir conducteur routier.
Il connaît ce métier qui impose des absences répétées mais aussi des déplacements à travers les paysages de l’Europe. Les récits de son père résonnent encore comme une aventure moderne. Nicolas s’est renseigné, le secteur du transport routier a besoin de chauffeurs PL et SPL et, si les routiers d’aujourd’hui sont nombreux à venir d’Europe de l’Est, les entreprises de transport souffrent d’une difficulté à recruter en France. Sa décision est ferme et définitive, il sera au plus vite un chauffeur routier. Au bout de quelques heures son projet de reconversion est sur papier.
Aussi honnête que dynamique, Nicolas transmet en janvier 2021 les bulletins de salaire fournis par la bijouterie et sollicite un nouveau rendez-vous pour présenter son projet. Mais une semaine plus tard il reçoit une réponse sollicitant un nouvel envoi de ces mêmes bulletins de salaire. Il s’exécute à nouveau pour constater en février qu’il a travaillé à perte. En effet ses indemnités mensuelles s’élevaient à 1500€. Payé 1200€ par mois par la bijouterie, il s’attendait à recevoir une indemnité de 300€ comme cela lui fut sous-entendu… Avec amertume, il ne reçut que 150€…
Cependant le projet de Nicolas est reçu à Pôle Emploi par des employés ahuris de voir une telle volonté à travailler. Son dossier est pris en charge sans enthousiasme car on ne comprend pas un souhait de s’engager dans une profession si difficile… On l’assure cependant du soutien de l’administration malgré son handicap. Nicolas est en effet diplômé d’un BTS commercial et se retrouve à nouveau dans la catégorie « non prioritaire »
Mais Nicolas a perdu, à présent, toute confiance dans l’administration.
En avril 2021, Il décide d’agir seul et notre courageux grognard des temps modernes devient franc-tireur. Il enregistre en Octobre une vidéo diffusée sur tous les réseaux sociaux. C’est un appel à l’aide qui se résume en quelques mots : j’ai un projet correspondant à des besoins vitaux pour l’économie française, depuis des mois toutes mes démarches auprès de Pôle Emploi n’ont abouti qu’à des déceptions. Aidez-moi ! »
Les propositions de solutions arrivent très vite. Nicolas apprend qu’il peut bénéficier d’un bilan de compétence par Active Project et Inspet partenaire de Pole Emploi… ! Il découvre très vite par un contact avec une agence auto-école que Pôle Emploi prend à sa charge les formations aux permis poids lourds et super lourds.
Il envoie alors sans trop d’espoirs un courriel à son Président de Région expliquant le caractère décourageant de sa situation. La réponse lui parvient le lendemain. Le processus s’accélère, les bonnes nouvelles s’enchaînent grâce à l’intervention de la Région.
En mai Nicolas fait un stage d’observation dans une société de transport. En juin il passe avec succès son permis poids lourds, son stage super-lourds est planifié pour septembre et Nicolas a déjà obtenu une promesse d’embauche du patron de la société où il fit ce premier stage d’observation.
En trois mois, seul, Nicolas est parvenu au bout de son projet pour se réinscrire dans la vie active. Pour ce battant, les efforts de recherche d’emploi demeurent une activité normale. Il se souviendra toutefois avoir reçu un appel de la Région, de la part d’un fonctionnaire haut placé qui lui expliqua qu’une formation de conducteur routier coûtait 10 000€. Stupéfait par cette remarque, Nicolas répliqua qu’en restant chômeur il allait coûter bien plus cher à l’Etat alors qu’il proposait de redevenir un contribuable… La réplique était recevable quand on sait que Pôle Emploi rémunère des formations PL et SPL à des personnes sans emploi qui n’ont aucune envie de trouver du travail dans une société de transport mais qui relèvent de ces « catégories prioritaires »
Nicolas remporta finalement son combat mais son récit est symptomatique de l’inefficacité d’une administration dont la mission est d’aider les citoyens à se réintégrer au plus vite dans la société active. La mission de Pôle Emploi reste de tout entreprendre en faveur d’une rapide réinsertion professionnelle. Il ne s’agit d’y faire l’éloge de la paresse en laissant attendre les demandeurs d’emploi tant qu’ils bénéficient d’une aide financière. Les conseillers de Pôle Emploi peuvent s’engager dans une magnifique œuvre humaine et dans ce cadre, ignorer leur montre (Nicolas m’ayant expliqué que ses entretiens étaient minutés pour ne pas dépasser la demi-heure).
Après une année de déceptions, d’incompréhensions et, certainement, de moments de désespoir. Il est le seul responsable de sa victoire en dépit d’une grosse machine destinée à le conseiller, à le soutenir, à le guider mais qui tomba si souvent en panne.
En fait les ministères qui ont en charge le travail des français s’y prennent mal. La faute n’en revient pas aux fonctionnaires qui ont l’impression de faire comme ils peuvent avec ce qu’ils ont. Nicolas m’avait confié que dans le Pôle Emploi de sa région, il avait constaté qu’un ordinateur sur trois fonctionnait normalement. Il savait en tant qu’ancien des télécommunications que la fibre optique passait à 50 mètres des mêmes bureaux mais qu’aucun directeur d’établissement n’avait songé à solliciter un raccordement pourtant si accessible.
En réalité ce sont des décennies de gestion socialiste et de démission de la droite qui nous ont fait parvenir à cette déplorable situation.
Pour lutter contre le chômage : embaucher des fonctionnaires et du personnel administratif est une solution simple et facile immédiatement. Une solution à la Jospin ou à la Hollande.
Délaisser le combat pour l’industrie, l’agriculture et, plus généralement, pour la relance économique, c’est également plus confortable.
On oublie encore une fois le long terme à force de n’agir que dans la perspective des prochaines élections. Mais un surplus de fonctionnaires à la française conduit inéluctablement à une paralysie des rouages de l’Etat si on ne met pas en place les moyens de les contrôler. Les plus cossards d’entre eux ne font rien, protégés par des règlements et des syndicats qui refusent de voir la réalité en face.
Les assidus justifient parfois leurs places en faisant du zèle sans en être jamais récompensés. Quand les meilleurs sont découragés, ils rejoignent les rangs des mauvais.
Protégés par la loi, les fonctionnaires ne peuvent pas être sanctionnés à la manière des employés des sociétés privées, autre injustice. Alors donnons-leur des objectifs d’excellence quitte à rémunérer un peu mieux ceux qui les atteignent. Etablissons des organisations de contrôles de l’organisation de l’administration qui prenne en compte l’efficacité. Pas seulement la performance du service de l’Etat mais la performance du service public, c’est-à-dire du public. Le service public n’est-il pas logiquement l’employé des contribuables ?
Puisqu’on ne peut pas toucher l’effectif de nos fonctionnaires, revoyons sa répartition.
Nous avons ainsi besoin de lutter contre la fraude fiscale et surtout la fraude sociale. Convertissons une partie de nos fonctionnaires dans de nouveaux organismes de vérification.
Selon la Cour des Comptes, pour la seule fraude aux contributions sociales, nous aurions une perte d’au moins 20 milliards d’€ chaque année, de quoi justifier bien des emplois de fonctionnaires.
Nous aurions également 28% d’agents administratifs dans nos hôpitaux alors que 22% suffisent en Allemagne et en Angleterre. Lançons une campagne de reconversion de ces agents en soignants. Le personnel soignant a tant besoin d’être renforcé.
Réformons le management du personnel de la fonction publique en établissant des contrats d’objectifs individualisés visant la performance et la motivation notamment par le versement de primes évolutives en fonction du nombre d’objectifs atteints.
Tout cela exige une acceptation des réalités, une compétence en matière de management et enfin du courage au niveau de l’Etat. Tout ce qui manqua aux gouvernements des trente dernières années et nous entraîna à créer des emplois injustifiés autant qu’inefficaces.
Si on ne réagit pas dans le sens d’une optimisation de la fonction publique nous laisserons s’affaiblir le pays en continuant à appauvrir et à démotiver ceux qui travaillent !
Il y a de très nombreux Français qui méritent cet effort. Ils composent l’immense majorité des gens honnêtes et fiers de leur pays, des travailleurs qui en ont assez du gaspillage de nos forces vives et de nos finances, de ceux qui se battent tous les jours pour leurs familles, pour leur pays et, comme toi cher Nicolas pour leur honneur de citoyen.
François Harari
25 Octobre 2021