La communauté de défense européenne (CED) est devenue un historique serpent de mer rejeté en 1954 et dont on a considéré, au-delà des soubresauts conceptuels, qu’il était bel et bien enterré.
Des essais pour tenter de réveiller ce projet ont bien vu le jour mais sans véritable portée. La brigade franco-allemande en est une illustration. Dans le même temps, la capacité britannique en matière d’état-major projetable interopérable a montré a contrario les limites européennes de défense sur ce point, sauf à accepter un alignement pur et simple sur les humeurs militaires internationales américaines. Le Kosovo a permis de l’illustrer magistralement sur le plan opératif.
Depuis le traité de Rome dont ce n’était bien entendu pas le projet, la défense européenne n’a pas véritablement émergée. On lui a substitué la coopération en matière d’armements et d’équipements.
Dans ce cadre la France a finalement rejoint l’organisation militaire intégrée de l’OTAN et participe activement aux partenariats industriels de défense en Europe dont des coopérations majeures avec les Britanniques. Mais on le sait ces derniers viennent de quitter cette même Europe pour un alignement pur et simple sur les Etats-Unis, mal dissimulé par leurs péroraisons.
La France n’a cessé depuis 1990 de « récolter les dividendes de la paix » chers à Laurent Fabius ce qui signifie que notre capacité de défense hors nucléaire, disons-le par souci de dissuasion, s’est vue contractée au point de devenir une épée croupion. Pire, pour nos équipements, nous avons opté pour l’achat sur étagères européennes et/ou américaines et même quasi abandonné nos capacités de production en matière d’armes légères.
Alors posons la question face au déclic ukrainien et à l’heure où l’on parle de défense européenne militaire. Comment concevoir un outil militaire non nucléaire européen qui soit efficace pour se défendre contre une agression en Europe ?
Il semble utile de rappeler à ce stade que la guerre exige pour sa conduite : un chef, une mission et des moyens.
Un chef ?
L’Europe n’est pas une fédération et encore moins un super Etat. Le retour des Nations montre bien qu’il n’y a pas de citoyenneté européenne mais la juxtaposition de peuples unis par des intérêts commerciaux, une convergence, sous influence anglo-saxonne, hédoniste et culturelle, même sil ne faut pas sous-estimer les craquements internes qui affectent certains pays dont la France du fait des mouvements migratoires. Certains voient en matière de défense une communauté de destin, d’autres ont une approche plus différenciée, d’autres ne veulent pas se découpler, sur ce sujet, des Etats-Unis, car ils connaissent, du fait de leur proximité et de l’histoire récente, les dangers de leurs voisins Russes ou Turcs.
Une mission ?
Pour envisager, au-delà du terme générique de la défense de l’Europe, une capacité militaire il faut avoir a minima un partage de l’analyse de la menace et une réactivité opérationnelle face à son évolution et ce jusque dans la crise. Ce « livre blanc européen de la défense » ne peut donc se concevoir sans une convergence totale d’intérêts et de volonté de défense. On voit ressurgir à nouveau ici la notion de citoyenneté européenne dont l’absence condamnerait toute faisabilité. Sans ce livre blanc on ne saurait faire émerger un outil militaire efficace pour faire face à une menace sur l’Europe. On reste alors dans de l’interopérabilité de circonstance qui ne peut espérer faire face qu’à une crise de « basse intensité » ou de « moyenne intensité » très localisée.
Des moyens ?
Les moyens financiers nécessaires pour équiper un outil de défense européen commun sont absolument considérables. Un renoncement s’impose sauf à rester dans de la juxtaposition opérationnelle de circonstance. Une capacité européenne efficiente exige une conception intégrée de défense qui s’oppose à des développements capacitaires indépendants propres à chaque pays. La création d’un outil de défense européen impose une déclinaison capacitaire commune qui conduit à l’abandon des indépendances nationales en matière militaire. Cela peut sembler violent, mais il faut le dire. Pour obtenir un tel niveau de défense, on l’aura compris, il faut une citoyenneté européenne qui dépasse la citoyenneté nationale et lui confie l’outil de défense.
Aujourd’hui dans le contexte européen, l’analyse des trois points exposés ci-dessus démontre que les obstacles sur le chemin d’une défense européenne sont considérables. Il faut avoir le courage de l’assumer.
On ne construit pas un outil de défense efficace sur des ratifications diplomatiques dont le langage complexe permet à chacun derrière un apparent accord d’estimer in fine avoir protégé ses seuls « petits intérêts ».
On ne gère pas un conflit en matière opérationnel avec des conférences pour conduire l’action dans ses buts et ses développements. L’unité et la capacité de décider avec réactivité sont essentielles pour la conduite de la guerre.
On ne construit pas un outil de défense sans une volonté de défense commune et surtout partagée qui soit au cœur de la définition et de l’emploi de cet outil face à la menace.
Le véritable choix est donc clair : Voulons nous faire nôtre une citoyenneté européenne supranationale ?
Si oui, il faut poser la question aux peuples, puis s’en donner la capacité. Cela ne peut se faire contre les peuples européens. Et ce ne sont pas des instances européennes ayant montré leur perméabilité aux lobbyings les plus divers qui peuvent se rendre décideurs en la matière, car il s’agit en réalité de la construction d’une Europe fédérale.
A défaut de consensus, la France doit se réarmer sans délai et quoi qu’il en coûte. Le risque est grand de ne point y parvenir tant, outre les capacités économiques, il existe des intérêts divergents et autogyres qui divisent notre pays.
L’Europe doit se hâter de choisir son destin, l’avenir de la France en dépend.