La puissance du crime organisée s’est brutalement rappelée à la classe politique française, au travers de faits divers tragiques pour lesquels un néologisme a été inventé par les magistrats Marseillais : Narchomicide. Très récemment, les attaques et dégradations récentes contre les personnels pénitentiaires et les prisons ont frappé les esprits.
Du jamais vu dans l’histoire, des groupes criminels organisés – on pense à la tristement célèbre DZ Mafia Marseillaise- défient ouvertement l’état.
Si ce n’est en Corse, dans un périmètre très limité, la France, contrairement à d’autres pays européens, n’avait jamais eu de clans mafieux, de cartels, de groupes criminels organisés (appellation officielle au sein des agences Interpol ou Europol) en son sein.
Le développement exponentiel du trafic de stupéfiants en est la cause. Jamais dans toute notre histoire, une activité criminelle n’avait rapporté autant d’argent.
C’est une véritable matrice criminelle.
Il est surprenant, si ce n’était le tragique de la situation, d’analyser les réactions outrées d’hommes politiques, je pense notamment au cynisme de monsieur DARMANIN, actuel garde des sceaux après avoir été pendant plus de quatre années d’affilée en charge de l’Intérieur.
Personne n’a établi une quelconque relation entre l’explosion de la criminalité organisée, et la désagrégation de la Direction Centrale de la Police Judiciaire voulue par ce même ministre à son arrivée au ministère de l’intérieur à l’été 2020.
Cette vielle maison qu’était la police judiciaire, créée en 1907 par Georges Clémenceau, ministre visionnaire, prenant acte de la mobilité des délinquants qui se déplaçaient alors dans tous le pays, a eu la mission de sortir des circonscriptions de police et des départements , pour traquer la pègre sur tout le territoire national.
En 2020 la police judiciaire était organisée en directions zonales, mais avec un chef, un Directeur Central à sa tête, ayant autorité sur l’ensemble des personnels lui étant rattachés, soit environ 5500 policiers et personnels administratifs.
Sous des prétextes discutables, cette organisation a été jugée par le ministre de l’Intérieur de l’époque obsolète, les unités en charge de l’unité contre le « crim org », ont été rattachées à des directeurs interdépartementaux (mais qui dans les faits étaient rattachés à leur seul département) de la police nationale (DIPN), chefs de police généralistes directement placés sous les ordres des Préfets.
On s’est donc retrouvé avec des dizaines de services n’ayant plus de hiérarchie commune et centralisée, travaillant à l’aveugle sur leurs faibles zones de compétence.
Plus aucune coordination n’était possible, au-delà des vielles amitiés entre anciens collègues, appelées à rapidement s’effacer avec les mutations, et les départs en retraite.
Dans de telles conditions, en dépit de sentences martiales quelles sont les chances de remporter la guerre contre le Narco-Banditisme ?
Il a été créé une organisation se voulant plus simple, le département devenant la pierre angulaire de la lutte contre la délinquance, unité administrative commode à visualiser avec un Préfet à la tête, mais totalement inadaptée à une criminalité moderne, qui se joue des départements, des frontières de la France, de l’Europe, des mers et des océans, et qui comme n’importe quelle économie s’est mondialisée.
Une fois ce constat accablant pour les autorités en place établit, et maintenant que les structures mêmes de la police judiciaire sont probablement irrémédiablement sapées, que faire pour barrer la route à ces criminels, et éviter, phrase à la mode, une « mexicanisation de la France » ?
Il faut que les actes remplacent les mots et que de nouvelles structures remplacent celles détruites par la réforme.
L’idée de créer un Parquet National Anti-Criminalité Organisée paraît plutôt bonne. Il pourrait s’appuyer efficacement sur des antennes, on peut penser que les actuelles Juridictions Interrégionales Spécialisées, les fameuses JIRS pourraient être la déclinaison dans les territoires de cette nouvelle juridiction. Ces JIRS pourraient même être dédoublées, certaines comme celle de Marseille ayant une compétence territoriale trop étendue.
L’état-Major de la Lutte contre la Criminalité Organisée (EMCO) tout récemment inauguré par l’actuel ministre de l’Intérieur et rassemblant à la fois, police, gendarmerie et services de renseignement peut être également un outil de pilotage efficient, à condition qu’il ait les moyens de faire un réel travail d’analyse et de coordination, et qu’il puisse s’appuyer sur des services centraux et territoriaux sur lequel il doit avoir autorité directe.
Cela signifie qu’il faut changer en profondeur les structures centrales et territoriales des services en charge de la lutte contre la criminalité organisée.
Pourquoi ne pas créer une Agence Nationale de Lutte contre le Crime Organisé, correspondante directe des agences Interpol et Europol, chapeautant l’EMCO, avec des déclinaisons régionales rassemblant au sein de mêmes sites les actuelles Divisions de Lutte contre la Criminalité Organisée, reliquat des anciennes unités opérationnelles des Services Régionaux de Police Judiciaire (S.R.P.J.) pour la Police Nationale, et les Sections de Recherche de la Gendarmerie Nationale ?
La coordination entre les deux forces en charge de la lutte contre la délinquance au sein d’une même agence aurait tout à y gagner.
Cette réorganisation des forces de sécurité intérieure doit s’appuyer en parallèle sur des évolutions en matière de procédure pénale. L’Italie pour juguler ses mafias a mis en place le crime d’association mafieuse, permettant de rassembler au sein d’un même dossier, les « petites mains » comme les plus « gros parrains ». Ne pourrait-on pas imaginer une législation similaire en matière notamment de narco-trafic pouvant à la fois juger dans un même procès, petits dealers et têtes de réseaux, qui constituent des maillons d’une seule et même organisation ?
En outre, les profits gigantesques produits par le trafic de stupéfiants vont mécaniquement générer de la corruption. C’est déjà le cas dans certains pays comme la Belgique ou les Pays-Bas. Ce poison peut s’insinuer dans tous les rouages de l’État. Une lutte impitoyable doit être engagée.
Les magistrats devront aussi prononcer des peines de prison dissuasives. Dans les textes le trafic de stupéfiants en bande organisée, ce qui est presque toujours le cas de fait, en matière de criminalité organisée, est puni de trente ans de prison. Dans les faits, rares sont les peines à deux chiffres prononcées…
Des maisons d’arrêt devront être construites afin de détenir les trafiquants les plus dangereux à l’isolement réel afin qu’ils ne puissent continuer leurs activités une fois incarcérés. Elles ont été annoncées, mais une fois de plus, n’est-ce pas un simple affichage, y aura t-il enfin une réalité derrière les mots ?
Enfin, il faudra prendre des dispositions sévères contre les consommateurs. Si des quantités aussi importantes de stupéfiants sont importées, c’est qu’elles trouvent preneur et que le marché est énorme. Des sanctions financières conséquentes contre les consommateurs, la saisie du véhicule ayant servi à leurs achats, par exemple, pourraient constituer des pistes intéressantes.
Notre pays est aujourd’hui face à un défi nouveau et terriblement dangereux. Si les autorités ne prennent pas de décisions énergiques, il faudra des dizaines d’années et probablement des centaines de morts, trafiquants dans des règlements de comptes, mais aussi forces de l’ordre et magistrats, pour se dégager de l’emprise de cette pieuvre.
Face à un immense chantier lourd pour l’avenir de la France avons-nous aux affaires les hommes politiques à même de relever le défi ?
On peut malheureusement en douter tant que la parole ne se fera pas action.