À chaque période de turbulence politique, certains ressortent la rengaine bien connue : il faudrait passer à une VIᵉ République. Comme si nos institutions étaient à ce point responsables de toutes les dérives, de toutes les frustrations, de tous les blocages. Comme si changer de cadre suffisait à faire surgir, comme par magie, une démocratie plus juste, plus représentative, plus vertueuse.
Mais il est temps de dire les choses clairement : la représentation démocratique n’est que le reflet de ce qui est proposé.
Changer de République, c’est une décision grave. C’est rompre avec une architecture qui, en dépit de ses défauts, a su offrir à la France une stabilité politique rare dans son histoire contemporaine. La Vᵉ République a été conçue pour éviter les impasses parlementaires, pour trancher dans le flou, pour permettre l’action dans les moments de crise. Et elle l’a prouvé plus d’une fois.
Alors peut-être ne faut-il pas fuir l’esprit originel de la Vᵉ République, mais au contraire y revenir avec lucidité. Et si le problème n’était pas l’héritage bonapartiste de nos institutions, mais plutôt leur trahison par ceux qui les occupent ? Osons le dire : la France a besoin d’un pouvoir qui incarne, qui assume, qui tranche.
Le gaullo-bonapartisme, dans ce qu’il a de plus noble, c’est une autorité au service de l’intérêt général, enracinée dans l’histoire, mais tournée vers l’action. Ce n’est pas le culte de l’homme providentiel, c’est le refus du bavardage, du compromis pour le compromis, de la paralysie molle. C’est un chef de l’État au-dessus des partis, garant du cap, mais comptable devant la nation.
Ce que réclame notre temps, ce n’est pas une République affaiblie, morcelée, toujours plus horizontale : c’est une République exigeante, verticale quand il le faut, au service du peuple mais pas prisonnière des humeurs.
Ceux qui militent pour une VIᵉ République sont, pour beaucoup, ceux qui n’ont jamais vraiment accepté la Vᵉ. Certains y voient un obstacle à leur idéologie, d’autres une excuse à leur incapacité à convaincre dans le cadre actuel. Et souvent, ceux qui appellent à tout “reconstruire” sont justement ceux qui ont échoué à bâtir quoi que ce soit d’efficace avec ce qui existe. La tentation de la table rase, si séduisante soit-elle, ne garantit en rien la réussite politique. Elle reflète souvent davantage une stratégie de contournement qu’un projet lucide.
La vérité est plus rude, mais plus saine : nos institutions ne sont pas parfaites, mais elles sont un outil — ni plus, ni moins. Ce qui fait la qualité de notre démocratie, ce n’est pas tant l’outil que la manière dont on s’en sert.
Si les électeurs désertent les urnes, si les débats sont appauvris, si les représentants semblent déconnectés, cela dit autant sur la manière dont les idées sont formulées que sur les institutions elles-mêmes. Une démocratie forte exige une offre politique forte. De l’exigence, de la clarté, du courage. Pas seulement des incantations à “refonder la République” à chaque impasse électorale.
Avant de vouloir tout casser, commençons par proposer mieux. Avant de jeter la voiture, peut-être faudrait-il simplement changer de pilote, revoir l’itinéraire — ou cesser de tourner en rond. Car une VIᵉ République sans projet, sans vision, sans citoyens engagés, ne sera rien d’autre qu’un rebranding vide. Et le même théâtre continuera, sous un autre nom.