La Participation des salariés aux bénéfices, au capital et à la gestion est une idée d’essence bonapartiste. Dans ses ouvrages « des Idées Napoléoniennes » et « l’Extinction du Paupérisme », Louis-Napoléon développait déjà un audacieux programme social où le système de la Participation était ébauchée. En ce domaine comme dans bien d’autres, un parallèle entre le bonapartisme et le gaullisme peut être réalisé. La Participation est aussi un des grands thèmes du Gaullisme Social. Mais ne peut-on pas aussi dire que la Participation et la transposition sur le plan économique et social de la Souveraineté ?
Dans le but d’une meilleure approche de ce thème tant gaulliste que bonapartiste, nous publions ce texte (ancien mais toujours d’actualité) de Michel EMERIAU.
Souveraineté et Participation
La souveraineté nationale n’est pas l’affaire des élites politiques : Président, ministres, parlementaires et autres détenteurs de la puissance politique. Pourtant, ces élites se la sont accaparée pour gérer, avec plus ou moins de bonheur, le quotidien et l’avenir de la nation. Pourtant, ce sont ces élites qui, en moyenne une fois tous les deux ans consultent, ou ne consultent pas, le peuple sur les grandes orientations de la nation.
La souveraineté nationale est la propriété exclusive du peuple. Mais le peuple, consulté une fois tous les deux ans, se désintéresse à chaque échéance un peu plus de ces élites politiques qui, trop souvent à son goût, se servent au lieu de le servir, oubliant le mandat qui leur a été confié pour le ou les sièges qu’ils occupent et cumulent, en bradant les valeurs dont ils sont pourtant les garants au profit de la seule chose qui vaille à leurs yeux : leur carrière !
Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, ces élites n’ont pas le monopole de l’exercice de la souveraineté nationale. La souveraineté de notre nation se tisse chaque jour au sein de l’entreprise. En effet, une grande nation qui serait dépourvue d’une économie forte (aéronautique, informatique, espace, télécommunications, automobile, B.T.P., agriculture, etc….) se trouverait naturellement en état de dépendance vis à vis des autres puissances.
Pour prendre un exemple concret : comment disposer de satellites de télécommunications si l’on ne dispose pas des lanceurs indispensables à une telle opération ? Il est évident qu’il n’existe qu’une solution, s’en remettre à une puissance étrangère. Fort heureusement, dans cet exemple, c’est notre pays qui, avec certains associés européens, dispose des meilleurs lanceurs et construit les meilleurs satellites..
Mais en est-il de même dans les autres secteurs économiques ? Sommes-nous réellement indépendants dans tous les secteurs nécessaires à notre économie ? A notre consommation ? Le secteur du textile est contrôlé par des marchés dans lesquels le coût mensuel de la main d’œuvre est évalué aux environ de 300 francs.
Moins visible et plus pervers sont les effets du contrôle exercé sur les grandes entreprises françaises par des capitaux étrangers. Les capitaux n’ont pas de visage, n’ont souvent pas de nationalité mais ils n’en sont pas moins réels et leurs mouvements concrets. Il suffit pour s’en convaincre de savoir que les entreprises du CAC40, les 40 plus importantes entreprises françaises, sont contrôlées à près de 40% par les fameux fonds de pensions anglo-saxons ! L’impact économique de ce contrôle n’est pas anodin. Il suffit de se souvenir des graves difficultés survenues à Alcatel lors de la perte de près de 40% de sa valeur pour s’en convaincre !
Si, autrefois, ces fonds de pension étaient gérés en bon père de famille, il en est tout autrement aujourd’hui. Seuls comptent les résultats boursiers. Licenciez mille personnes et vous verrez le cours de vos actions grimper en flèche. Selon que vous êtes francophone ou anglophone, vous appellerez ce phénomène la mondialisation ou la globalisation. Peu importent les dommages collatéraux résultant des mouvements de capitaux. C’est le corps social qui règle l’addition ! Le corps social, c’est à dire nous ! Alors, pourquoi se gêner ?
En d’autres temps, un jeune et fringant ancien Premier ministre aurait pu appeler ce phénomène de mondialisation le Parti de l’Etranger, mais les temps changent. La fois de certains en la France s’érode et se dilue au fil du temps et au profit de la foi en leur carrière…
Depuis quelques années sont apparus dans le langage deux néologismes : délocalisation et dégraissage. Quels termes horribles lorsque l’on sait ce qu’ils recouvrent ! Délocalisation et dégraissage sont les deux mamelles de la mondialisation. Telle entreprise rencontre-t-elle de si grandes difficultés qu’il faille délocaliser ou dégraisser ? L’entreprise va-t-elle devoir déposer son bilan ? Pas forcément ! Ces mesures ne sont souvent que le résultat de la recherche d’une meilleure performance. Peu importent les pertes d’emplois qui en résultent, elles sont comprises dans le plan social et passent par pertes et profits ! Tout est paramétré par les grands technocrates de la planification ! Et si demain l’entreprise devient moins rentable ? Qu’importe ! Les fonds de pension et leurs investisseurs anglo-saxons anonymes iront quérir sous d’autres cieux sur le grand échiquier planétaire de bien plus dociles profits !
Et qu’en est-il des fameux stock-options dont la presse nous rabat les oreilles ? Est-ce une forme de participation au capital ? En fait, les stock-options sont à la Participation ce que le Canada Dry est à l’alcool. Si pour quelques rares privilégiés qui bénéficient de cette manne, l’affaire peut être largement lucrative, il est peu probable que le système motive l’ensemble des salariés. Et pour cause ! Ceux-ci ne profitent aucunement des actions qui ne sont attribuées qu’à une faible partie des cadres. Nous sommes toujours dans un système oligocapitaliste, c’est à dire à un système capitaliste réservé à un petit nombre. La participation est un système économique pancapitaliste. C’est à dire un système économique dans lequel l’augmentation de capital est répartie équitablement entre tous les salariés en fonction de leur salaire et de leur ancienneté dans l’entreprise.
Qu’en serait-il si, comme le général de Gaulle l’avait prévu depuis plus de 30 ans, le noyau dur des entreprises était constitué par des fonds de participation, c’est à dire par des capitaux appartenant aux salariés de l’entreprise ? Bien différemment, bien sur ! Comment imaginer que les actionnaires salariés de l’entreprise se délocalisent ou se dégraissent dans le but d’améliorer la rentabilité des actions de leur entreprise ?
Mais, au fait qu’en est-il de la participation ? La participation est l’association capital-travail voulue par le général de Gaulle et évoquée dès 1942 à Londres lorsque, avec Jean Moulin, il aborde la transformation de la condition ouvrière.
La participation ou pancapitalisme, est la troisième voie économique tracée entre le marxisme et le capitalisme, doctrines toutes deux issues du XIXème siècle*. Contrairement à ce que pense la majorité de nos concitoyens, ces deux doctrines sont très proches l’une de l’autre. Dans la vision capitaliste de l’économie, le capital est détenu dans les mains d’un faible nombre de personnes. Il s’agit d’oligocapitalisme. Dans la vision marxiste de l’économie, le capital est détenu dans les mains d’une seule personne : l’Etat. Il s’agit de monocapitalisme. En fait, qu’est-ce que cela change pour les salariés que le capital des entreprises soit détenu par un petit nombre de personnes ou par l’Etat ? Le résultat est le même : ils sont exclus de la répartition !
Dans notre vision économique, il en est autrement. La participation comporte trois volets :
- La participation aux bénéfices
- La participation au capital
- La participation aux responsabilités
« Tout le reste n’est que participation au baratin » disait Philippe Decharte.
C’est en 1959 qu’est promulguée la première Ordonnance sur la Participation. Elle institue l’intéressement aux fruits de l’expansion… En 1967, le général de Gaulle promulgue une nouvelle ordonnance. Cette ordonnance, malheureusement limitée aux bénéfices, dispose désormais d’un caractère obligatoire. Mais pour le Président, ce n’est qu’une première étape…
Aujourd’hui l’ordonnance de 1967 est toujours en application. Mais les résultats en sont toute fois très limités. Jugeons plutôt : les réserves de participation représentent 80 milliards de francs correspondant au blocage es fonds sur cinq années (chiffres de 1995). Si nous les comparons, cette réserve de participation, aux 8,448 milliards de francs du produit intérieur brut annuel, la participation aux fruits de l’expansion représente aujourd’hui moins de 0,2% du P.I.B de notre pays ! Peut-on sérieusement prétendre que la participation est appliquée aujourd’hui en France ? Quelques mesurettes ont été ajoutées depuis. L’occasion a été offerte au personnel d’entrer dans le capital d’entreprises privatisées. Mais rien aujourd’hui de significatif en dehors de quelques cas d’espèces !
La participation aux bénéfices, au capital et aux responsabilités** serait pourtant aisé à mettre en œuvre et son mécanisme simple. Il ne s’agit pas de partager les richesses existantes mais les moyens de production crées conjointement par les apporteurs de capitaux et les apporteurs de travail. L’Etat incite les entreprises de plus de 10 salariés à réinvestir une partie de leurs bénéfices. L’autofinancement ainsi réalisé donne lieu à création de nouvelles actions partagées à égalité entre actionnaires et salariés de l’entreprise. Pour la part salariale, ces nouvelles actions sont réparties au prorata des salaires et versées à un fond de participation bloqué pour un minimum de cinq ans. Avec un autofinancement de 6% l’an, les actionnaires et les salariés deviennent égalitaires au bout de 25 ans et le capital initial a été multiplié par 4. Nul ne doute qu’avec des salariés fortement motivés, devenus des citoyens à part entière dans l’entreprise, cette dernière ne puisse que connaître des taux de croissance bien supérieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui. Pour mémoire, un point de croissance national correspond à 100 000 emplois ! Ce qui signifie que si la crise du chômage a fort peu de chance de trouver une issue avec cette vision malthusienne qui consiste à réduire le temps du travail à 35 heures, elle risque fort de la trouver dans l’application de la participation.
Le général de Gaulle aimait à dire que la participation serait la clef de voûte de la société de demain. C’est à dire de la société d’aujourd’hui ! Si nous en avons le courage politique, ce projet sera le grand chantier socio-économique du prochain millénaire. Ce chantier pourra être mis au service de notre souveraineté économique pour peu qu’une véritable volonté politique soit mise en œuvre. Ce sera l’occasion de démonter que les valeurs dites de droite et celles dites de gauche se mêlent intimement dans le creuset de la Nation. En fait les termes droite et gauche n’ont plus beaucoup de sens aujourd’hui. Imaginons un Président de l’Assemblée Nationale ambidextre ou atteint de dyslexie : nous aurons la vision exacte de ce qu’est devenu aujourd’hui le vieux clivage droite-gauche ! …
Utiliser la participation comme un alibi social, tel que ce fut le cas pendant près de 30 années par certains, serait une forfaiture que le peuple ne saurait souffrir et qui déshonorerait l’héritage que nous ont légué nos aînés. Il ne vaut mieux ne rien faire ! Pour que cet héritage soit transmis fidèlement aux générations futures, il conviendra peut être d’en adapter les formes au contexte actuel sans pour autant en trahir l’esprit. Il ne s’agit pas de dépoussiérer la participation qui n’en a nul besoin ! La participation est une idée moderne.
La participation est en mesure de répondre aux défis du nouveau millénaire :
- La défense de la souveraineté économique de la nation,
- La création d’un statut de salarié-citoyen dans l’entreprise,
- La diminution du chômage par la création d’emplois productifs de richesses,
- La réduction de la fracture sociale,
- La sécurisation des retraites pour les décennies à venir…
Michel EMERIAU
*L’Appel au Peuple se permet de rappeler que la participation est, elle aussi issue du XIXème siècle. Napoléon III en étant le premier investigateur de cette « doctrine » qui n’a pas pris, tout comme le reste de du bonapartisme, une seule ride.
**La participation aux bénéfices est un système collectif de revenu non salarial lié aux bénéfices ou à tout autre mesure des résultats de l’entreprise
La participation au capital est l’accès des travailleurs à la propriété des moyens de production, c’est à dire au capital social de leur entreprise. Elle aboutit donc progressivement à l’abolition de l’opposition entre capitalistes et travailleurs.
La participation aux responsabilités se présente comme la transposition sur le plan économique de ce que sont dans l’ordre politique les droits et les devoirs du citoyen.
© Image par Michal Jarmoluk de Pixabay